a préface de Thierry Issartel

Préface


  COMME JE L’ESPÈRE de nombreuses autres personnes après moi, j’ai découvert avec émotion l’existence d’Eugène Mimonce. L’ouvrage de Laurent Frontère m’a également donné un aperçu de son œuvre poétique qui mérite au minimum d’être considérée comme celle d’un « petit maître ». Cette appellation n’a pour moi rien de déshonorant, si l’on y place des auteurs comme Paul-Jean Toulet ou Germain Nouveau qui ont fait partie de ses proches et ont aujour- d’hui une renommée appréciable. L’auteur du présent livre souligne les points communs de Mimonce avec Germain Nouveau, hippie avant l’heure. Faut-il pour autant le considérer comme un archétype du poète maudit ? Car à l’évidence, non sans paradoxes, Mimonce est le premier bourreau de lui-même et de sa notoriété : il semble répugner à être publié, même s’il est ravi que son ami Casimir en prenne, à sa place, l’initiative ; il cherche vainement une reconnaissance auprès des cercles orthéziens qu’il honnit ; il n’essaie pas davantage de profiter des contacts et des réelles sympathies qu’il noue dans les cercles parisiens, cercles dont on connaît l’importance et la vivacité. Au rang de ses ambiguïtés, Mimonce se rêve une vie de rentier provincial tout en en rejetant les attributs bourgeois. Ses tourments romantiques sont pour leur part tout autant d’ordre sentimental et familial – Mimonce a un gros problème avec la paternité et c’est un coureur de jupons effréné –, que littéraire et poétique. Des affres de son « métier de poète », il dira, énigmatique : « Je suis un poète lucide. Tout mon drame vient de là, de cette cohabitation difficile ; car le poète qui est en moi exècre l’homme lucide que je suis qui, pour sa part, déteste le poète qui est en moi. »1 Si Mimonce se refuse à publier, c’est qu’il a – ou prétend avoir – un haut niveau d’exigence dont il sait d’avance qu’il ne pourra l’atteindre. Il juge ses poèmes « bancals », sa métrique « approximative », son inspiration « ordinaire », ne voulant pas « se compromettre comme tant d’autres »2 malgré l’insistance de ses amis, reprenant à son compte la phrase de son confrère Raoul Ponchon : « Je suis un poète de troisième rang, je ne puis admettre que l’on me mette au premier ». Ses vers, tout d’abord, il veut les offrir à un public de privilégiés dans un lien d’amitié, et il ne peut être question de les monnayer. Puis, ayant épuisé sa fortune personnelle, il cherche alors pathétiquement à tirer un revenu de sa production poétique, raclant les fonds de tiroir d’années d’insouciance et de dilettantisme, vantant avec la pire mauvaise foi la haute valeur littéraire de ses vers les moins inspirés. Mimonce vit alors la période la plus noire de son existence. Dans cette vie de lutte apparaît un rayon de soleil, la période bénie pendant laquelle il effectue son service militaire à Pontarlier. Même la guerre de 1870, qui éclate alors que Mimonce est encore sous les drapeaux, semble avoir été une période de jubilation intérieure. Le lieutenant Étienne Beaufort de la Villardière n’y est pas étranger, lui qui a, le premier, remarqué ce talent original et encouragé le soldat Mimonce à s’engager dans la voie de la poésie, une voie étroite et pleine de dangers. Voilà qui pourrait surprendre au premier abord venant d’un militaire ! Après quelques voyages en Orient, renonçant à de plus vastes horizons, Mimonce prétend développer son « ferment poétique » à Orthez. Si Francis Jammes y parvient avec un certain succès, ce sera pour notre homme une sorte d’internement volontaire, car la bourgeoisie orthézienne n’est pas prête à lui pardonner ses farces et ses frasques passées.  En tant qu’ancien maire d’Orthez, il y a une douce ironie à me confier le soin de préfacer cet ouvrage, car j’ai été le successeur temporaire d’édiles que Mimonce a largement brocardés.


Thierry Issartel