Correspondance

Correspondance

Nous publions ci-dessous huit lettre d’Eugène Mimonce ou adressées à lui par d’honorables correspondants :

1. Lettre d’Eugène Mimonce à Francis Jammes
2. Lettre de Paul-Jean Toulet à Mimonce
3. Lettre d’Eugène Mimonce à Albert Mérat
4. Lettre de Raoul Ponchon à Eugène Mimonce
5. Lettre d’André Gide à Eugène Mimonce
6. Lettre de François Coppée à Eugène Mimonce
7. Lettre d’Eugène Mimonce à Edmond Faussecave,
Directeur des Pompes Funèbres Générales de Pau
8. Lettre de Pierre Loti à Mimonce

1. Lettre d’Eugène Mimonce à Francis Jammes

Orthez, le 6 octobre 1899

Mon cher Jammes,

 

  Je viens de recevoir ton envoi et t’en remercie vivement. Et puisque tu m’as fait l’honneur d’une dédicace très flatteuse, puisque je semble avoir ton oreille, permets-moi de te donner mon avis sincère : certes, tes vers sont beaux et ont bien les douze pieds règlementaires, mais je trouve que tu gâches ton talent. Tout ceci est mignon, mais bien plat en vérité. Il y a un je-ne-sais-quoi de convenu, cherchant le consensus. Pour tout dire – j’espère que tu pardonneras mon expression un peu cavalière –, je trouve que tout ceci manque un peu de virilité. Certes, elle n’est pas l’ingrédient indispensable à toute bonne littérature, mais il convient, si l’on est un vrai homme, et je ne doute pas que tu en sois un, de s’écarter du côté maniéré des aquarelles de jeunes filles de bonne famille qui font des gammes pour faire plaisir à leur maman. Je suis peut-être sévère, mais je suis sincère et te livre là ce que seul un vrai ami peut t’apporter. Viens donc me retrouver un de ces aprés-midi au café de la Halle où je tiens pour ainsi dire une permanence et je t’offrirai un verre.

 

Ton dévoué, Eugène Philadelphe Mimonce

 

  Nul ne sait si cette lettre, dont nous n’avons conservé que le brouillon, a bien été envoyée à son destinataire, mais il est certain qu’elle n’est pas caractérisée par une extrême courtoisie !

 

 

2. Lettre de Paul-Jean Toulet à Mimonce

Paris, le 2 février 1900

Mon cher Mimonce,

 

  Que ne ressuscitiez-vous pas cette Académie d’Orthez plus tôt ! N’attendez donc pas que je vous félicite pour cette idée. Franchement, j’aurais eu du plaisir à être des vôtres. J’imagine la tête compassée des Planté, Bauby et compagnie. Avec Curnonsky, nous buvons une petite flûte à la longue vie de ce nouveau cénacle de l’Esprit. Les bulles qui montent à la surface sont à l’image de votre effervescence. Si vous saviez comme je me languis, par moments, de mes platanes et de nos promenades le long du gave ! Cela ne m’empêche pas d’avoir quelque projet de voyage. Que diriez-vous de traverser ensemble le canal de Suez pour aller jeter un oeil sur le Tonkin en faisant une escale à Ceylan ? Une occasion inespérée de mourir de la fièvre typhoïde ! Ceci dit, on peut aussi bien en mourir sous nos latitudes, et donc autant s’égayer.
Avec Curnonsky, nous nous essayons à écrire quelques bricoles à quatre mains. C’est un exercice que je vous recommande. Si vous le voulez, j’en parle à votre ami Coppée. Sincèrement, vous devriez venir ici, je vous aiderais à vous trouver un bon petit éditeur. Vous vous feriez rouler dans la farine, mais au moins, tout Paris vous lirait. Je vous salue bien bas, Cher Maître, et donnez-moi donc des nouvelles de l’affriolante Madame Phinquéguy. Yours,

 

  Toulet

 

Dans cette lettre, Toulet, qui a quitté le Béarn quelques mois plus tôt, paraît vibrionnant. Ses projets de voyage se concrétiseront deux ans plus tard… sans la participation de Mimonce, car entre-temps, leurs relations ont un peu fraîchi. Quant aux recherches d’éditeurs parisiens, si elles ont bien été entreprises l’année suivante, elles se sont soldées par le fiasco que l’on sait.

 

3. Lettre d’Eugène Mimonce à Albert Mérat

Orthez, 28 janvier 1889

Mon cher Mérat,

 

  Tu dois être surpris d’avoir de mes nouvelles. Ici, à Orthez, tout le monde me croyait mort. Il est vrai que je suis allé prendre l’air quelque temps. Oh ! Juste six ans passés sur la Méditerranée à me faire ballotter par la houle. Sept ans ont passé depuis mon dernier passage à Paris. Toi qui plaisantais sur ma tignasse, tu me trouverais bien dégarni, et je ne suis guère plus épais que je ne l’étais à la sortie de la guerre.
Tu trouveras joint à cette lettre un exemplaire d’un recueil de mes vers. Ils sont un peu anciens, mais je leur garde une certaine estime. Je serais heureux que tu me dises en toute amitié ce que tu en penses. Si je t’écris aujourd’hui, c’est que je compte venir te voir prochainement.
Je serais vraiment très heureux de revoir Paul Leschers. Sais-tu ce qu’il est devenu ? Ma dernière lettre m’a été retournée et je ne peux qu’espérer qu’il n’est pas, à l’heure qu’il est, en train de se faire grignoter par les vers. Avec la descente qu’il avait, je n’en serais pas surpris. Et ton ami Rimbaud ? Vous vous étiez bien foutus sur la gueule, chez les Vilains Bonshommes ! Il parait qu’il aurait lui aussi disparu de la circulation du côté de la côte des Somalis et aurait cessé d’écrire ? (Je tiens la chose de Nouveau) Nous aurions pu nous y croiser et je crois que, là-bas, j’aurais été heureux de rencontrer une tête connue, fût-ce la sienne. C’était une sacrée tête de mulet, mais ce con-là avait quand même une belle plume.
J’espère te revoir bientôt et avoir ainsi l’occasion de te raconter de vive voix les aventures de Gégène en Orient.
  Ton ami,

 

Eugène Philadelphe Mimonce

 

Voilà une lettre précieuse qui accrédite l’idée que Mimonce était dans les parages ce fameux 2 mars 1872 où Rimbaud aurait blessé Etienne Carjat.

 

4. Lettre de Raoul Ponchon à Eugène Mimonce

Paris, le 12 janvier 1889

Cher ami

 

  Merci pour ton vent nauséabond du Vésuve. J’en tiens une bonne douzaine de ma production personnelle à ta disposition, mais dépêche-toi, sans cela, je crains de les distribuer à mes amis parisiens. On dit que Queen Victoria en fait d’aussi redoutables que Mézigue. Mais pourquoi donc t’entêtes-tu à t’enterrer dans ton sud-ouest quand il y a ici tant de choses à faire, tant de gens convenables, tant de maisons accueillantes, tant de cafés bien fréquentés. Viens quand tu veux, mon voisin de palier a une chambre et il est arrangeant. Il ne faut pas que tu rates l’exposition internationale. Il y a de la lumière électrique partout et les gens viennent du monde entier. Tu ne vas tout de même pas rater la monstrueuse tour d’Eiffel à côté de laquelle mon chibre à triples grelots n’a qu’à bien se tenir !
As-tu appris la mort de Charles Cros ? La nouvelle n’est pas très fraîche et remonte à août dernier. Elle nous a tous profondément attristés, nous, les compagnons Zutistes, les Vivants et les autres. Nouveau est dans un drôle d’état. Avec ses délires mystiques, je redoute le jour où le préfet se croira obligé de le faire interner.
Mais où étais-tu passé depuis tout ce temps ? J’attends un compte-rendu circonstancié, de vive voix bien sûr. Tu sauras me trouver, chez Chabout, chez Larceval ou ailleurs. Enfin, chacun a droit à ses petits secrets !

 

  Salutations distinguées de ton Raoul

 

Charles Cros, fondateur du Cercle des poètes Zutistes qui s’est sabordé en 1872, est effectivement mort le 9 août 1888. Les Vivants, dont faisait partie Germain Nouveau, ont pris le relais. Puis Cros formera un nouveau cercle zutiste en 1883. Nouveau, qui est alors professeur de dessin au lycée Janson-de-Sailly, sera interné à l’hôpital Bicêtre en 1891, en pleine crise mystique.

 

5. Lettre d’André Gide à Eugène Mimonce

Paris, le 23 octobre 1910

Cher Monsieur,

 

  J’ai bien reçu votre mot du 18 courant.
  Je suis plus pessimiste que vous, car je crains que l’arriération bigote ne soit pas l’apanage de votre seule région. Quoi qu’il en soit, je vous remercie pour votre entreprise d’édification des campagnes. Au vu de l’ampleur de la tâche, je vous souhaite sincèrement bien du courage.
  Quant à notre ami le Cygne, j’entends dire partout que ce volatile se hausse bien du col. C’est sans doute parce que c’est dans sa nature. Vous m’apprenez que lui aussi participe activement au culte de cette simplette et de sa grotte. Vous ne m’étonnez qu’à moitié. En réalité, tout cela est pitoyable, mais il vaut mieux en rire.
Bien sincèrement,

 

  André Gide

 

En 1910, Jammes s’est définitivement fâché avec Gide ; il s’est fiancé devant la grotte de Lourdes, est marié depuis 1907 ; le couple a une fille : Bernadette. De quoi susciter bien des sarcasmes, dans une époque où les tensions générées par la loi de 1905 sont encore vives.

 

 

6. Lettre de François Coppée à Eugène Mimonce

le 23 octobre 1910

Monsieur,

  Oui, j’ai bien reçu votre abondante correspondance et vous prie d’en cesser immédiatement l’envoi. Vous vous économiserez quelques timbres et cela m’évitera de [remplir inutilement ? deux mots peu lisibles] ma corbeille. Croyez-vous qu’il soit vraiment utile de votre part d’ajouter l’insulte à des sarcasmes qui sont mal venus de la part d’un homme qui se prétend poète mais qui n’a jamais rien publié et dont on m’assure qu’il fait partie de ces gens qui veulent faire de la dégénérescence leur manifeste poétique ?

  Coppée

Le malheureux Coppée, tête de turc numéro Un de Mimonce, semble s’engouer dans sa réponse, multipliant à l’envi les pronoms relatifs, dans une lettre à l’écriture fébrile et exaspérée.

 

7. Lettre d’Eugène Mimonce à M. Edmond Faussecave, Directeur des Pompes Funèbres Générales de Pau

Orthez, le 13 janvier 1906

Monsieur,

 

  Je viens de trouver votre placard publicitaire dans le Démocrate d’Orthez. Mon épouse est en effet au plus mal. J’ai par ailleurs un fils phtisique, une fille anémique, et une belle-mère emphysémateuse. Etant moi-même dans le commerce, je pense que nous pourrons trouver un terrain d’entente. Pensez-vous pouvoir me faire bénéficier d’un tarif de groupe ? Je suis ancien combattant. Me comptant moi-même dans les personnes pouvant avoir un recours prochain à vos services, comptant une personne supplémentaire non encore identifiée, je serais intéressé par six cercueils en acajou poignées dorées intérieur capitonné. Bien entendu, compte tenu du fait que nous sommes de confession zoroastrienne, nous souhaiterions que le cercueil ne présente pas la croix qui figure sur le modèle présenté dans votre placard, mais, dans la mesure du possible, un oiseau Vareghna en bronze doré. Compte tenu de l’usage échelonné dans le temps de cette fourniture, vous serait-il possible d’entreposer chez vous la marchandise, car je n’ai guère de place chez moi et la vue de ces cercueils pourrait créer une émotion bien inutile. En outre, je vous commanderai d’emblée trente-six cierges calibre 8 centimètres ainsi que douze couronnes mortuaires perpétuelles en perles de verre et trente mètres de chandelle. J’attends votre devis avec impatience. Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mon éternelle considération.

  Eugène Philadelphe Mimonce

Mimonce a conservé toute sa vie durant un esprit gamin et farceur. Il a ainsi multiplié les lettres à des inconnus pour des motifs improbables. Celle-ci en est un bon exemple. Citons également une lettre au service des impôts d’Orthez pour en demander l’augmentation, lettre censée avoir été écrite par un certain Lafargue Marcel, entrepreneur à Castétis.

 

8. Lettre de Pierre Loti à Mimonce

Rochefort, le 3 juin 1892

Cher Monsieur,

 

  Vos compliments pour ma réception à l’Académie me trouvent confus. Je me souviens bien de votre envoi, il y a trois ans, et votre ouvrage est toujours dans ma bibliothèque. Vous me dites que vous êtes l’ami de ce monsieur Jammes que j’ai rencontré chez Chasserriau, l’an passé, à Biarritz. C’est un jeune homme charmant et promis à un bel avenir littéraire. Je devrais revenir chez mon ami Chasserriau dans un mois. Nous pourrions peut-être nous y rencontrer. Vous me parlerez de vos impressions de voyage. Envoyez-moi un télégramme et venez donc avec votre ami, nous serons en bonne compagnie. Amitiés poétiques,

  Pierre Loti

Voilà qui montre que Mimonce, qui se déclare toujours pur et scrupuleux était lui aussi capable d’actions de ” lobbying ” auprès des gens influents dans les milieux littéraires, quitte à utiliser Jammes à son profit.