Extraits 2 : Petit bestiaire fantasque

L’œuvre poétique d’Eugène Mimonce

Extraits 2 : Petit bestiaire fantasque

 

Le rat

 

Le rat, c’est entendu, est chose abominable.
Cette espèce nuisible inspire le dégoût.
C’est sûr que Lucifer lui-même est plus aimable.
Quoi de plus répugnant que l’odieux rat d’égout ?

 

Il pille nos greniers, ç’en est calamité,
La peste, on nous l’assure, un mal qu’il inocule.
Il l’installe et déjà, la voilà qui pullule…
Moi, je suis écœuré par ces insanités.

 

Sale, me dites-vous ? Il soigne sa toilette
À longueur de journée. Joue-t-il les pique-assiette ?
Non, car de nos rebuts, il se contente en sage.

 

En vérité, ce fin rongeur est un rusé ;
Voilà pourquoi toujours il finit accusé,
Et pourquoi j’ai pour lui un amour sans ambages.

 

La vache

 

Sauf exception, bien sûr, la vache a quatre pattes
Ce qui inquiète énormément les névropathes.
Elle vous étudie d’un bel oeil langoureux,
Et se balade nue, le cul toujours foireux.

 

Je puis vous dire aussi qu’elle est sans prétention,
Lèche ses trous de nez avec délectation.
Elle a les pieds fendus, comme le dromadaire,
Et deux cornes devant – mais aucune derrière.

 

Avec quatre estomacs, elle est polygastrique.
C’est là un singulier détail anatomique.
La vache est prosaïque : elle ne rime à rien,
« Avec potache, oui ! » diront les grammairiens.

 

Elle se lave à froid, car sinon elle feutre.
Et rien n’est plus vilain quand la vache bouloche.
Parfois, autour du cou, elle arbore une cloche,
Sonnaille de métal qui terrifie les pleutres.

 

On peut bien la manger, car elle est comestible,
Excellente en beignets tout à fait digestibles.
De son cuir renommé, on fait des brodequins.
Et quoique courageuse, elle craint les requins.

 

Elle pète beaucoup, et de toutes les bouses,
Celle de la vache, haut la main, est la meilleure.
Du taureau, c’est ainsi, elle n’est pas jalouse,
Et sa vie d’étalon, en fait parfois l’écœure.

 

Il est, dit-on aussi, deux espèces de vaches :
L’une, vache sans tache – et qui n’a pas de tache ;
L’autre, qui a des taches – de la fange, j’y songe,
Sur laquelle, d’abord, passez un coup d’éponge.

 

Oui, la vache a beaucoup d’admirateurs fervents.
Elle a quatre trayons, parfois cinq, mais c’est rare,
La Nature a bien fait : elle accouche souvent
De multiples bébés ; car elle est vivipare.

 

Enfin, pour terminer, c’est la reine des prés.
Aimez-la, s’il vous plaît, car vous verrez qu’après,
Elle vous lèchera d’une langue râpeuse :
De marques d’affection, elle n’est pas frileuse.

 

Le hérisson

 

Une brosse à carder le lin
Abandonnée dans l’herbe
Au pied d’un carolin.

 

Elle traverse le jardin,
En zigzag, furetant
D’un petit trot badin.
Le bout de son museau mutin
Sous la frange d’épine
Apparaît, incertain.

 

Un limaçon calme sa faim.
Point temps de s’attarder,
Ce n’est pas un bec-fin.

 

 

La chauve-souris

 

Elle passe partout pour une marginale,
Vivant la tête en bas, comportement odieux.
Oreilles décollées, court museau disgracieux :
Qui donc a jamais vu plus laid dans les annales ?

 

Il existe une espèce, en de fort lointains cieux,
Qui va dans les foyers. Elle vole en spirales,
Puis s’accroche aux cheveux, grignotant l’encéphale
Des gens peu attentifs à son vol silencieux.

 

À la moindre lumière, elle cligne de l’œil.
Longs gants de jais, long voile noir de crêpe anglais :
De quel obscur époux porte-t-elle le deuil ?

 

Celle de nos contrées s’appelle pipistrelle.
Dès qu’un bruit importun la sort de son sommeil,
Elle s’enfuit, d’un vol inquiet, à tire d’aile.

 

La couleuvre vipérine

 

Ce reptile sournois et trompeur disparaît
Dans l’ombre de ses sœurs à l’humeur pateline,
Méfiez-vous car, en fait, c’est une Messaline
Qui n’aime rien de mieux que les troubles marais.

 

Dans les herbes, elle ondoie à l’abri des regards,
En méandres discrets, silencieuse, rapide.
Elle hume l’air des champs de sa langue bifide,
Combine sans répit ses odieux traquenards.

 

Tandis que ses consœurs paressent au soleil,
Elle complote encore. Une odeur comestible !
En transes la voilà, tous ses sens en éveil.
Habile, elle a tôt fait de repérer sa cible.

 

Elle fond sur sa proie, étreint le sot rongeur,
Laisse agir le venin que ses crocs inoculent,
D’une énorme bouchée, avale sans douceur
L’animal imprudent dont la queue, ridicule,

 

Dépasse du museau, seul relief insolite
De ce brutal repas. Bientôt mulot n’est plus
Qu’une boule d’écaille, et future colite,
Au milieu d’un tuyau distendu, superflue.

 

Point de V tatoué signalant le danger
De ce vil animal aux instincts meurtriers
Caractère ombrageux, implacable et cruel,
Qu’aurait-elle à envier au subtil Machiavel ?

 

La limace

 

Elle évite le superflu :
Pas de jambes ni tête
Pas d’yeux,… pas de lunettes !

 

À dire vrai, ce n’est au plus
Qu’un bout de chair visqueux,
Détestable lapsus.

 

S’il aperçoit une limace
Qui étale sa morve,
Le jardinier grimace :

 

Cette calamité dévaste
– Plaisir de pédéraste –
Les plants et les semis.

 

Elle crache dans la salade,
Sur l’oignon cavalcade,
Minaude dans les choux.

 

Quand par hasard j’en rencontre une,
Exquis, divin plaisir,
Je pisse sur cette importune.

 

 

L’esclampion

 

Le plus urbain des animaux !
Il sautille de branche en branche,
Cueille une mangue d’un rameau,
Puis, d’un geste auguste, il la tranche
Pour en offrir à ses amis.
Sa moitié pond un oeuf unique
Dans un grand nid hémisphérique.
Il maudit la polygamie,
Mais affectionne les maîtresses
Et fait parfois l’avantageux,
Leur promettant des nuits d’ivresse
L’œil polisson, le cul fangeux.
J’aime ses deux petites cornes
Et son jabot de sénateur,
Et son effronterie sans borne.
Et son bagout de colporteur.
Mon beau, mon mignard esclampion,
Tu le sais : tu es mon champion.

 

 

Cloporte au logis

 

Dix-huit soldats romains forment une cohorte.
Leurs boucliers jointifs au-dessus de leurs têtes,
Ils progressent en rang sur une feuille morte.

 

En vérité, ce ne sont pas des légionnaires,
Mais cet original que l’on nomme cloporte,
Insecte ou crustacé ? Il n’est point ordinaire.

 

Ce curieux animal n’est pas un risque-tout :
Sitôt vous le touchez, sitôt se met en boule,
Car il adopte la tactique du tatou.

 

Toujours pressé, il va et vient on ne sait où,
Personne ne connaît au juste son régime
Ni même aucun détail sur ses pensées intimes.

 

Aime-t-il se baigner ? A-t-il des états d’âme ?
A-t-il froid en hiver ? Serait-il… polygame ?
Qu’on aille me chercher un cloportologiste !