L’œuvre poétique d’Eugène Mimonce
Extraits 3 : Les épilobes
XII.
Cet enfant, tu le dis de moi.
J’aimerais bien te croire
Serait-ce un souvenir sans gloire
De nos anciens émois ?
Pourtant, c’est sûr, il me ressemble,
Le même air courroucé,
La même expression compassée,
Le même nez, j’en tremble.
Ne prenais-tu donc pas ces plantes
À l’odeur de pétun
Qui évacuent les importuns
De façon élégante ?
Je ne serai pas le dernier
D’une lignée d’esthètes,
De notaires et de poètes,
De fous, de jardiniers.
Ce poème a d’évidents relents autobiographiques. Il en est de même pour quelques autres du même recueil. Citons en particulier le XXXI, le XXXII et le XLII.
XLV. L’Homère d’alors
Quand Ulysse partit d’Ithaque,
Pouvait-il donc savoir
Qu’il vivrait vingt ans de déboires
Sans revoir Télémaque ?
Car, pour un baiser sur les lèvres,
La maudite Circé,
Avec ses poudres opiacées,
L’a fait devenir chèvre.
Victime – c’est faute des dieux –
De monstres cyclopiques,
D’ennuis météorologiques,
Et de rivaux odieux,
Tombé dans ce divin guêpier,
Il eut cette incisive
Pensée rétrospective :
« J’aurais mieux fait d’aller à pied ! »
XXIV.
Les genêts enfin sont fleuris.
J’aime bien leur odeur,
Elle a – sais-tu ? – la profondeur
Boisée des pots-pourris.
Ce bref arbuste n’est que tiges
La feuille mystifie
– C’est un lointain vestige –,
Et la fleur stupéfie :
Jaune d’or, elle semble frêle,
Un soupçon de folie
Moins compliquée que l’ancolie,
Ou la blanche asphodèle.
J’aime les voir, dans la tempête,
Fouetter l’air, ballotter,
Se balancer de tous côtés
Sous les nuées violettes.
Les gitans en font des balais
Ce qui nourrit leurs gosses.
C’est là un honnête négoce
Et qui les satisfait.
Au sujet de ce poème, conscient de l’imperfection de sa métrique par rapport aux canons classiques, ignorant généralement les diérèses, Eugène Mimonce écrit ceci :
« Je n’y entends rien, moi, à ces histoires de rimes masculines et féminines. Les mêmes qui insistent pour les alterner, me faisant de vils reproches, sont les premiers à enfreindre la règle s’agissant de leur vie privée. Quant à moi, je fais ce qui me plaît. »
III.
Un bataillon d’impécunieux
À l’assaut des commerces.
Leur vif mépris de l’argent berce
Les huissiers sentencieux.
Réjouissons-nous : le veau d’or
Émeut la populace
Mais toutes les idées salaces,
Plus sûrement encor.
Quand de petits banquiers endossent
Un chèque en bois d’aubier,
Je moque avec l’ami plombier
Leurs bas en fil d’Écosse.
XXVII.
C’est un gamin mal dégrossi
Qui n’a connu d’un père
Que les humeurs très délétères
D’un buveur endurci.
Quant à sa mère poitrinaire,
Elle n’a pas eu le temps
De s’occuper de son enfant,
Et mourut visionnaire.
Il a des taches de rousseur
Et va toujours nu-tête,
Ignore comme la crevette
De sa vie la noirceur
Il n’est nulle part à sa place,
Le malheur le poursuit.
Un oncle s’occupe de lui,
Qui des fois le tabasse.
LVI. Épitaphe
Toi qui sur cette tombe passes,
Sache qu’elle contient
Les os blancs d’un mauvais chrétien
Passionné du Parnasse.
Destiné par son aimé père
À la quincaillerie,
Il bifurqua – pari
Osé, hérésie financière !
Car il a vécu en poète,
Releva ce défi,
N’en a tiré aucun profit :
La vie est ainsi faite !
Erreur ? N’aurait-il pas mieux fait
De rester quincaillier ?
De vendre ses vinaigriers ?
Ou son mastic parfait ?
Toi qui me demandes son nom,
Voilà donc la réponse :
Souviens-toi du pauvre Mimonce,
Poète sans renom.