Le texte de Jean-Marie
Montpellier, le 5 octobre 2007
Mon cher Laurent,
J’ai été enchanté par ton bouquin, mais quelque peu perturbé par ton histoire de latéralité et de miroir. Je suis donc allé me regarder dans la glace ; or, ma salle de bains en comporte deux en vis-à-vis, ce qui explique que je me suis vu simultanément à gauche et à droite, ainsi qu’à droite et à gauche : troublant. Dans cette incertitude, je me propose d’aller visiter la galerie des glaces à Versailles, puisque de toute manière je vais à Paris jeudi prochain. Cependant, je crois savoir que ces glaces ont les bords biseautés, qui doivent engendrer un effet de prisme : me verrais-je le haut à gauche, ou la droite en bas, ou pire encore ?
Quoiqu’il en soit, il serait intéressant d’établir une biographie complète de tes deux héros mérousis. À ma connaissance, encore enfants, mais déjà astucieux, ils mesuraient un quart de coudée alexandrine, à savoir 13,125 cm. C’était là leur taille lorsque le patriarche Noé les recueillit dans son Arche la veille du déluge. Noé avait aménagé à leur intention un aquarium d’eau de mer alimenté en oxygène par un ingénieux dispositif actionné par une mini-éolienne au sommet du mât d’artimon de l’Arche. On sait en effet que Noé avait reçu pour mission de recueillir un couple — mâle et femelle — de toutes les espèces d’animaux. Or nos deux petits mérous, alors désignés sous les noms de Epsilon et Iota, étaient l’un et l’autre de sexe masculin ; ceci prouve que le patriarche Noé — que Dieu ait son âme — avait des connaissances biologiques rudimentaires, et ne savait pas distinguer le sexe des poissons.
Quoi qu’il en soit, lors de la décrue du déluge, l’Arche de Noé se posa sur le sommet du mont Ararat — 5160 m d’altitude actuellement, mais paraît-il 782,68 m de plus à l’époque — qui était le premier site à émerger au-dessus des eaux. Comme il se doit, Epsilon et Iota furent les premiers à sortir de l’Arche, après dit-on une colombe — qui était peut-être un corbeau ?
Nageant de concert, ils se retrouvèrent immédiatement au-dessus de la ville proche d’Etchemiazine, siège du patriarcat de l’Église chrétienne autocéphale d’Arménie ; elle était encore immergée, ce qui permit à Epsilon et Iota — ou Iota et Epsilon — de visiter la cathédrale Saint-Paul-et-Thadée, depuis le sommet de ses dômes, jusqu’au plus profond des nefs, c’est à dire le plancher.
Que faire alors ? Nos deux mérous se concertèrent ; car contrairement à ce que toi, Laurent, tu avances, nos deux jeunes mérous étaient déjà doués de la parole, capables de philosopher et d’analyser les tenants et aboutissants de leur latéralité commune, mais néanmoins opposée.
– en premier lieu, ils observèrent que, contrairement à l’idée que l’on peut avoir de la couleur de leur pelage — si l’on peut dire —, ils n’étaient pas blancs mais roux. Né roux donc, ils étaient fascinés par leur illustre homonyme Nehru ; ils prirent donc la décision de rencontrer ce dernier au sein même de l’Empire des Indes ;
– en second lieu, instruits qu’ils avaient été par leur précepteur, disciple de Socrate, Epsilon et Iota connaissaient parfaitement la problématique de la Révolution française. La Révolution était le mouvement circulaire par lequel les choses revenaient périodiquement à leur situation antérieure ; la Terre tournait donc, et puisqu’elle tournait, elle était ronde, n’en déplaise au pape Paul VI Borghèse. (Note de l’auteur : Voir à ce sujet les minutes du procès en inquisition intenté aux citoyens Copernic et Galilée)
En conséquence, nos deux mérous pouvaient rejoindre l’embouchure du Gange en nageant soit dans le sens des aiguilles d’une montre, soit dans le sens inverse, ou encore inversement, si ladite montre était regardée en sens inverse.
Il fut décidé qu’Epsilon rejoindrait les Indes en direction de l’ouest comme le fit Christophe Colomb, et Iota en direction de l’est comme le fit Vasco de Gama.
Entre temps, la décrue du déluge s’était affirmée, ne laissant que quelques cours d’eau comme piètres reliques. Nos deux mérous dont la nature même est hydrophile ne pouvaient donc quitter les lieux qu’en empruntant le fleuve Araxe voisin ; or, chacun sait que l’Araxe en cet endroit est orienté nord-sud — ou l’inverse, c’est une question de point de vue. Il y avait donc là une difficulté, puisqu’en fait, il s’agissait d’aller vers l’est ou l’ouest — ou l’inverse. Il fallut en débattre au cours d’un café-philo organisé dans une taverne au bord de la rive turque de l’Araxe.
La bilatéralité gauche-droite, est-ouest, à laquelle se rattache aussi celle du foie et de la rate — et ce malgré l’œil cyclopéen dont les mérous avaient conservé une ébauche —, cette bilatéralité donc était contrariée par celle nord-sud, devant-derrière imposée par le cours de l’Araxe : il s’agissait là d’une seconde dimension axiale. Quelle était la signification profonde de cette dualité axiale ? N’était-elle pas symptomatique d’une troisième dimension, celle de l’unicité et de la diversité, celle du bien et du mal, de la vie et de la mort, de la superstition et du rationalisme, du corps et de l’âme, du temps immuable ou de celui qui passe… ?
On convint en définitive que cette analyse en 3D était pertinente, même si elle n’excluait pas un possible quatrième axe, une quatrième dimension. Toutefois, il fallut transiger avec l’axe Araxe le seul accessible à la gens ichtyo. Se fiant au hasard qui est à l’origine des réalités cosmiques et qui, une fois sur deux ne se trompe pas, on tira à la courte-algue.
– Epsilon suivrait le cours de l’Araxe,
– Iota le remonterait.
Le voyage d’Epsilon
L’Araxe débouchait non loin sur la Mer noire ; Epsilon se sentit mieux puisque sa latéralité devenait compatible avec la direction occidentale qu’il emprunta sans hésitation.
Au large de Sébastopol, Epsilon croise par vingt mètres de fond une frégate hitlérienne coulée par une torpille russe ; par bâbord arrière, une énorme déchirure de la coque lui permet d’y pénétrer et de visiter les coursives où s’entassent les squelettes des marins soigneusement nettoyés par des myriades de petits poissons. Pendant dix-sept jours et demi, Epsilon, la bouche ouverte profitera de cette aubaine alimentaire nageottant dans les coursives ; sa taille triplera exactement, pas moins. Sachant que la densité du corps des mérous est de 1,04, les esprits curieux pourront facilement calculer le poids d’Epsilon à partir de sa taille, ceci en utilisant un algorithme du commerce fixant les coefficients de forme des poissons selon leur espèce.
Quoi qu’il en soit, cette affaire, on en conviendra, est une illustration frappante de la théorie de la chaîne alimentaire inversée.
Mais il fallait poursuivre vers l’ouest. Epsilon ne pouvait qu’emprunter le cours du Danube. Il traversa Bucarest, mais fut un temps bloqué dans le défilé des Portes-de-Fer ; il ne put le franchir qu’en escaladant par des sauts de carpes, les échelles à poissons judicieusement installées au droit des barrages hydroélectriques.
Abrégeons maintenant : Epsilon put au passage admirer les ponts ottomans de Budapest, et ceux de l’empire austro-hongrois à Vienne et Ratisbonne. Arrivée au lac de Constance ; l’armée française « Rhin et Danube » du Maréchal de Lattre de Tassigny assura son transfert vers le Rhin, grâce aux moyens de son bataillon du Génie. Malheureusement, les détails de cette opération ne nous seront connus que lorsque le Ministre des Armées acceptera de lever le « secret-défense » en ouvrant ses archives à la curiosité du public.
Ce seuil franchi, Epsilon n’avait qu’à se laisser entraîner par le courant du Rhin jusqu’à Rotterdam. Cette étape sans effort lui permit de prendre encore taille et embonpoint.
L’étape suivante dans la Mer du nord et l’Océan atlantique s’avérait plus rude avec les tempêtes d’équinoxe. Epsilon avait prévu une période de repos dans l’archipel des Farsildey. Il y rencontra une flottille de drakkars qui y relâchait, conduite par Éric-le-Rouge, roi de Norvège. Éric avait un physique de demi de mêlée, et une opulente chevelure rousse ; mieux valait ne pas s’opposer à lui! Par contre, il savait faire preuve d’une grande délicatesse de sentiments avec ses amis ; Epsilon en fut. Le soir, Éric s’installait pour prendre le frais dans un transat au bord du quai ; il devisait alors avec Epsilon bercé en contrebas par le ressac.
Nous étions en l’an de Grâce 987 de l’ère chrétienne, c’est-à-dire pendant la période de l’optimum climatique du moyen-âge, décrite par Leroy-Ladurie. Le « petit âge glaciaire » ne viendrait que beaucoup plus tard. Éric-le-Rouge emmenait ses troupes coloniser le Groenland — vert pays — alors couvert d’opulents pâturages et de forêts. On craignait cependant pour l’avenir un refroidissement de la planète contre lequel il fallut lutter. Dans ces conditions, Éric conseillait à Epsilon de remonter le long du Groenland, puis de poursuivre par le « passage du nord-ouest ».
Il déconseilla par contre le canal de Panama ; chacun sait en effet que ce canal conçu pour aller d’ouest en est, a en effet été creusé d’est en ouest, ce qui est absurde et même immoral. Epsilon ne pouvait pas se l’autoriser.
Afin de ne pas importuner le lecteur, il ne sera maintenant plus question que des éléments saillants du périple d’Epsilon.
Au Nord du Groenland, il put observer la crête de la cordillère sub-océanique arctique dite de Lomonosof. De visu, il vérifiait ainsi l’enseignement de son percepteur, disciple de Socrate, qui avait évoqué le principe de la dérive des continents, et la théorie de Weneger. Il dut s’avouer qu’il n’avait guère prêté attention à cela, qui était resté enfoui dans un tiroir reculé de sa mémoire.
Epsilon avait déjà parcouru plus de vingt mille lieues sous les mers et cela faisait cinq ans, sept mois et trois jours qu’il avait quitté Iota. À cette pensée, il languissait et versait des larmes de crocodile — si l’on peut dire —, compte tenu des liens d’amitié si forts qui l’unissaient à son alter ego.
Au-delà de la baie d’Hudson, un imbécile d’Inuit voulut le harponner, le prenant pour un phoque, l’horreur quoi ! Son réflexe caudal lui permit d’échapper.
Arrivé au large de l’Alaska, il observa avec intérêt les manœuvres d’un bateau de Greenpeace qui prétendait prendre à partie un supertanker de la Standard-Oil ; les marins s’échangèrent de part et d’autre moult horions qu’il ne serait pas convenable de reproduire ici, mais qui enrichirent le vocabulaire d’Epsilon.
Plus loin, alors qu’il croisait au large des Îles Aléoutiennes, il put observer une formidable éruption volcanique analogue à celle qu’il avait vue, enfant, en mer Égée. Une parcelle de lave incandescente lui tomba sur le dos provoquant une blessure douloureuse. Même cicatrisée, cette blessure permit plus tard à une algue, Laminaria vericulosa, de s’y installer.
Arrivé à l’entrée du détroit de Malacca, Epsilon s’autorisa quelques libertés sur son plan de voyage en visitant les installations portuaires de Singapour. Ce jour-même, un A380 acheminait un chargement de 68 porteurs de stock-options prétendant obtenir le droit d’asile en Birmanie. Epsilon leur trouva l’œil glauque.
Le voyage d’Epsilon tirait à sa fin : il ne lui restait plus que 2500 km à nager jusqu’au delta du Gange. Il avait simplement prévu une halte aux Îles Andaman ; on lui avait dit qu’un raz-de-marée les avait totalement submergées il y a 5628 ans, et ce, en 7 minutes seulement.
Le voyage de Iota
Tu te souviens, mon cher Laurent, que le hasard dans sa grande sagesse, avait assigné à Iota la mission de rejoindre le delta du Gange en empruntant à reculons le cours de l’Araxe, c’est-à-dire en avançant à contre-courant vers sa source. C’est en effet ce qu’il fit.
Mais avant d’aller plus loin, il convient d’examiner le contexte géopolitique de la région que Iota devait traverser. On sait qu’Ataturk, le fondateur de la TUrquie moderne, avait une vision pénétrante de l’avenir de son pays : il souhaitait assurer le développement économique de l’Asie mineure orientale, notamment celui des minorités kurdes, iraniennes et arméniennes auxquelles il était très attaché. Bref, il lui fallait du pétrole — n’ayons pas peur des mots ; lequel était produit en abondance dans la région de Ninive, et plus précisément dans sa banlieue qui portait le nom de Mossoul. Le pipe-line de 600 km de long comprendrait une conduite de 4,527 mètres de diamètre, et serait jalonné de bassins de décantation et de dépressurisation. Pour diriger ce projet pharaonique, il fit appel à un Égyptien, Gamal Abdel Master, petit-fils du fameux architecte du phare d’Alexandrie. Ainsi fut fait, et l’oléoduc reliait l’Araxe au Tigre.
Mais quelques années plus tard, furent découverts les faramineux gisements de pétrole de Bakou. Ce pétrole parvenait à meilleur prix que celui de Mossoul, et l’oléoduc de Mossoul fut reconverti en aqueduc : un jour sur deux, l’eau du Tigre était pompée vers le Nord jusqu’au lac de Van ; le lendemain, cette eau était restituée au Tigre par simple gravité.
Ce dispositif ingénieux s’insérait dans la problématique de développement durable puisque l’on restituait à la nature l’eau qu’on lui prenait, et cela marchait très bien.
On l’aura compris, ce fut là l’itinéraire emprunté par Iota : à partir de l’Araxe, il rejoignit le lac de Van et se laissa glisser sans effort jusqu’au Tigre à Mossoul dans l’aqueduc d’Ataturk. Tout au plus, pouvait-il un jour sur deux se reposer confortablement dans l’un des réservoirs de dépressurisation.
Tout aussi facilement, il put partir de Mossoul se laisser porter par le cours du Tigre. Par ailleurs, Nabuchodonosor, roi de Babylone, avait comme ministre des eaux un certain Tarek Aziz de religion chrétienne ; de ce fait, avait comme emblème un poisson : ιχθυσ, c’est à dire « Jésus-Christ fils de Dieu sauveur ». Il ne pouvait donc voir Iota que d’un œil favorable.
Arrivé à Bassora, Iota se perdit dix-sept jours dans le labyrinthe du delta du Tigre : c’était un lacis de bras de mer ou de rivières, morts ou vifs, entrecoupés de marécages sans issues.
La traversée du Golfe persique ne fut pas une partie de plaisir, car Iota devait à tout instant slalomer pour éviter des marées noires, jusqu’à ce qu’il arrive dans le détroit d’Oman. Il entrait dans l’Océan indien. Mais les tempêtes de mousson étaient cette année si déchaînées qu’il dut fuir pour se mettre à l’abri dans la Mer rouge. C’est là qu’il se lia d’amitié avec Lawrence d’Arabie, homme charmant et fin connaisseur du pays ; moyennant finances, il acheminait dans un boutre les falachas juifs éthiopiens qui souhaitaient rejoindre Israël.
Iota remonta un peu plus au nord dans la mer Rouge.
Des Hébreux en captivité en Égypte souhaitaient eux aussi rejoindre la Palestine, mais ils étaient coincés par la mer : ils étaient dans la mouise. C’est pourquoi Iota compatissant, prit leur chef Moïse sur son dos pour lui faire traverser la mer Rouge.
À Suez, Iota, qui était daté d’un naturel curieux, voulut visiter le canal que Ferdinand de Lesseps creusait. Il ne le put car un écriteau en langue cyrillique indiquait « Fermé pour travaux ». Iota fut révolté par une telle impéritie : puisque c’était comme ça, il se jura d’emprunter le canal en sens inverse, c’est à dire du nord vers le sud.
Ce faisant, il savait de quoi il parlait puisqu’il avait déjà expérimenté les trajets nord-sud en nageant sur l’Araxe et le Tigre. Encore fallait-il pour réaliser son projet faire le tour de l’Afrique en tournant dans les sens des aiguilles d’une montre. Mais abrégeons : Asmara, Gardafui, Dzaoudzi, Zanzibar, Durban ; le cap de Bonne Espérance fut franchi comme une lettre à la poste. Swakopmud, Luanda, île Fernando Po, Accra, île de Gorée, Nouakchott, Ténérife, Madère. Plus loin, Iota, qui était plongé dans ses pensées, loupa le détroit de Gibraltar. Il ne s’aperçut de son erreur qu’en arrivant au large de Lisbonne, et plus précisément au lieu-dit Cabo da Roca. Il fit donc demi-tour, et percevant la salinité supérieure des eaux, il s’engagea résolument plein est vers la Méditerranée. Il fit relâche à l’îlot de Pantelleria, croisa au large de Tobrouk et arriva enfin à Port-Saïd, entrée du canal de Suez. Avant d’y arriver, sa curiosité naturelle l’avait poussé à observer soigneusement le rivage pour voir le fameux phare d’Alexandrie. Malencontreusement, il ne le put, car ce monument avait malencontreusement été repeint en bleu, et se confondait donc avec le paysage.
À défaut d’avoir traversé le canal de Suez à l’envers, Iota le traversa à l’endroit. Mais blasé, il ne lui trouva rien de rare.
Le périple de Iota tirait à sa fin : il ne lui restait plus qu’à redescendre la mer Rouge, bifurquer vers l’ouest, longer les côtes de l’Arabie heureuse, faire escale à Yanaon ou Karikal, et ce serait le delta du Gange.
Les retrouvailles d’Epsilon et Iota
Pour la bonne compréhension de ce qui va suivre, nous nous devons préalablement d’inviter le lecteur à un effort d’ordre philosophique partant sur l’éloge du chiffre 8.
– en premier lieu, on observera que ce chiffre est le seul dont le tracé comporte un axe de symétrie. Il est vrai que cette singularité existe également pour le sigle 00 qui désigne l’infini et la totalité : néanmoins, 00 est un signe couché, mais 8 est debout, volontaire, tourné vers l’avenir. Il est vrai également que les lettres X et Z sont également dotées de symétries, mais leur dessin n’est pas refermé et paraît donc inachevé ;
– en second lieu, on remarquera que 8 est le cube du premier des nombres premiers — 23 =
2 x 2 x 2 . Être le premier des premiers, ce n’est pas rien. Lors des jeux Olympiques, il serait judicieux d’accorder le podium au huitième, car viser ce rang est difficile, et on risque d’être septième ou neuvième. Par contre, dans la pratique actuelle, on risque certes d’être second, mais jamais zéroième — sauf si l’on est dopé ;
– en troisième lieu, on observera, et c’est là sans doute le plus important, que le 8 est le symbole même de la bilatéralité, concept essentiel dans la vie de nos deux mérous. En effet, traçant un 8, on tourne d’abord dans le sens des aiguilles d’une montre, puis dans un deuxième temps en sens inverse. On peut aussi procéder différemment : tourner de droite à gauche dans la partie supérieure du 8, et de gauche à droite dans sa partie inférieure. Le 8 est donc bien le symbole de l’universalité, et de la réunion de toutes les disparités.
En effet, Epsilon et Iota traçaient au large de Calcutta de larges 8 entre les deltas confondus du Gange et du Brahmapoutre. En plus de cinq ans, ils avaient beaucoup changé, grandi, grossi, et craignaient de ne pas se reconnaître au milieu de l’abondante faune ichtyologique attirée par l’abondance des nutriments provenant des bûchers funéraires le long du Gange.
Ce qui devait arriver arriva : ils tombèrent nez à nez l’un sur l’autre au centre même de symétrie du 8. Qui eux ? Qui nous, dirent-ils ? Kinou. D’abord, ils sourirent jusqu’aux ouïes, puis éclatèrent de rire.