Les poèmes obscurs / Les inclassables

L’œuvre poétique d’Eugène Mimonce

Extraits 9 : Les poèmes obscurs / Les inclassables

 

Le miroir aux échidnés

 

Éternel polisson ignorant la sagesse
– L’âme du hérisson est vile et pècheresse –,
Sur le dru paillasson, son corps couvert d’épines
S’échine sans façon, fantaisie libertine.

 

Que veux-tu, Tyrgylis, que je puisse ululer
Quand tes grands yeux vert d’eau ont fait capituler
L’être intime et secret dont le temple rustique
S’emplit soudainement de rumeurs domestiques ?

 

Car il faut que je parte, il faut que je m’en aille
Pour qu’enfin libérée, la fleur de la racaille
Trouve la voie sacrée, celle de la Lumière.

 

Et l’on verra partout fleurir les ancolies
Les pensées, les soucis, ce qui n’est que folie.
Adieu, terre adorée, je m’en vais vers l’Éther.

 

La jeune fille et la mort

 

Voici, d’un paon de nuit, l’histoire véridique.
Il a, sur le thorax, une tête de mort.
Ce sinistre trophée, ce déprimant décor,
Ce crâne d’or ne le rend point mélancolique,

 

Car dans sa race, il n’y a rien de plus banal.
Quant à notre grand sphinx, c’est un original
En instance de rupture avec son engeance
Qui a, parfois, de la jeunesse l’impatience.

 

Curieux, sentimental, esprit peu ordinaire,
Ce papillon génial s’imagine investi
D’une mission spéciale aux desseins téméraires
Qui lui sont inconnus ; il en prend son parti.

 

Par une nuit de pleine lune, il aperçoit
Une très jeune fille endormie dans sa chambre.
La peau nue de son cou est comme de la soie,
Et dans la pièce flotte une douce odeur d’ambre.

 

Attentif, il respire, ainsi, de doux effluves,
Ceux de la chair humaine : un mélange d’odeurs
Celles du foin coupé, de la pluie en étuve,
Sur une pierre chaude, et du pêcher en fleurs.

 

La belle respire, endormie, calmement.
Le doux insecte ondoie, silencieux, puis se pose
Sur la fleur de sa peau, ses deux ailes décloses.
Bientôt il s’endort sur ce cou si charmant.

 

La chaleur fait ici naître une gouttelette.
Tout rêveur, il lui vient une idée peu honnête :
« Je voudrais bien pomper un peu de ce nectar ! »
La stricte probité n’admet pas tel écart !

 

Suave et veloutée, cette peau l’étourdit.
Un léger courant d’air traverse alors la pièce.
La jeune fille assoupie reprend ses esprits,
Car elle a fait un songe et le vent la caresse.

 

Surprise ! Et le grand sphinx, honteux, ne l’est pas moins,
Qui, frappé de stupeur, soudain s’envole au loin.
Le lendemain, un tout petit grain de beauté
S’est formé là où s’est posé cet éhonté.

 

La jeune fille a changé. Pour la première fois,
Elle a l’impression que son temps est compté,
Car un jour, de la vie, chacun de nous perçoit,
Tôt ou tard, l’ineptie et la brièveté.

 

Longuement, dans la nuit, notre paon a erré
Sous la lune, enivré par ce qu’il a vécu.
Un météore luit dans la voûte éthérée
Puis, le paon disparut, à tout jamais, perdu.

 

[sans titre 1]

 

« Vois-tu ton doux visage ?
D’où vient ce nystagmus ?
– De l’hypothalamus.
– Reprends du mucilage ! »

 

[sans titre 2]

 

C’est à Villeveyrac, lieu de villégiature
Qu’avec vivacité un vil vipéridé
Vint à virevolter autour de ma voiture
Lorsqu’un vice-légat l’alla vilipender.
Dura lex, Astyanax,
Anthrax, Pneumothorax,
Myocastor et Pollux.

 

[sans titre 3]

 

« Mon tout petit biquet, va donc chez l’herboriste,
Il est de bons conseils, ils guériront ton kyste…
– Ma mère, je reviens avec du mélilot,
Du fenugrec, de la mélisse et du pavot,
Du romarin, du curcuma et du plantain.
– Bravo, trésor, tu en prendras tous les matins. »

 

Les dragées au curcuma (extraits)

 

…L’archimandrite prit ses guêtres et fila droit chez son banquier. Des salamandres jaune citron baignaient dans le marigot de ses pensées quand, descendant d’un palanquin, un ouvrier zingueur cria : « À bas les réformateurs ! » Il n’y avait pourtant pas de quoi fouetter un chat. Le cuir buriné par les ans, Son Excellence condescendit alors à parler au petit peuple qui mangeait des chabichous sous la charmille. Oh là là ! Sa voix nasillarde contrastait avec la rondeur de son verbe. Bientôt, la nuit tomba, et personne pour l’aider à se relever… »

 

Ce texte représente six cahiers soigneusement numérotés, écrits sans rature, comme d’un seul trait. De loin en loin, l’écriture se dégrade, comme sous l’emprise de l’alcool ou de drogues. Puis, ce sont des pages entières recouvertes de gribouillis informes, de mosaïques, de toiles d’araignées et de formes géométriques. Le texte s’achève subitement, au détour d’une phrase, sans que l’on sache bien pourquoi :

 

…Le blond cantonnier avait cueilli un petit bouquet de myosotis. Ses pieds lui faisaient mal. Certaines idées malsaines ne trouv

Orthez, le 8 octobre 1896