L’esprit potache / La veine scatologique

L’œuvre poétique d’Eugène Mimonce

Extraits 7 : L’esprit potache / La veine scatologique

 

 

Cruels dangers de la chasse au phoque

 

Sur un blanc sampan balinais,
Passant le canal Cholédoque,
Quelques vieux soudards avinés,
S’en allaient à la chasse au phoque.

 

Soudain, un terrible ouragan
Frappa la triste embarcation
Qui bientôt fut en perdition.
Alors, ouvrant la boîte à gant,

 

Sitôt le maître d’équipage
Saisit sa médaille d’or fin,
Car des marins, il voit la fin,
Et du bateau, le dur naufrage.

 

Sampan coulé, plus rien n’est sauf.
Au fond des flots, l’éclair doré :
« Regarde saint Christophe
Et va-t-en rassuré. »

 

 

La rançon du progrès

 

Où vont donc tous ces gens affairés et pressés
Circulant dans des voitures hippomobiles ?
Qui sont ces gens qui vont la mine compassée
Sur le pavé mouillé ? « Fouette cocher, en ville ! »

 

C’est sûr que bien souvent, ils ont l’air très bizarre,
Ces gens pressés avec leur col amidonné,
Et pas même à leurs guêtres un bouton oublié,
Qui jettent, à peine entamé, leur précieux cigare.

 

Aimeraient-ils vraiment que Nature accélère ?
Je le crois, mais alors, les pluies cataclysmiques
Causeront, c’est certain, des trombes mortifères
Et les vents déchaînés, des destructions tragiques.

 

Les orchestres joueront presto prestissimo
Pour pousser à courir aussi les invalides.
Ordre sera donné aux femelles gravides
De faire ce qu’il faut pour avoir des jumeaux.

 

Les horlogers réquisitionnés, la longueur
Des balanciers sera réduite de moitié.
Les travailleurs seront levés – oui ! c’est pitié –
Pour embaucher vers les quatre heures, à la bonne heure !

 

Printemps, été automne, hiver au pas de charge,
Les pêches n’auront point le loisir de mûrir,
Les portefaix n’en finiront pas de courir,
On rognera sur les déjeuners, pas de marge !

 

Si dans cette ruée quelques vils immigrés
Viennent à trépasser d’une attaque cardiaque,
Tant pis car il ne faut retarder le progrès !
« Circulez, circulez ! » leur diraient ces maniaques.

 

 

Le pâtisson

 

Après l’asperge, tudieu ! cela va sans dire
Tu es le plus butté des cucurbitacés.
Exquis, tu es sublime avec les crustacés,
La béchamel, oui, tu la hais, mais qu’en déduire ?

 

Méfie-toi, mon ami, du rôti d’agnelet
Car il ne rend pas grâce à ta subtile chair.
Comme Fébus, j’aime ton contour crénelé,
J’aime à te déguster sur mon vieux rocking-chair.

 

Moi aussi, j’ai connu d’audacieux capitaines
Qui se faisaient fouetter sous le mât de misaine
Puis, sur leurs moussaillons jetaient des pâtissons.

 

Moi aussi, j’ai connu des chirurgiens rebelles
Qui avant d’opérer l’aimable clientèle
De pâtissons grillés nourrissaient leur pinson.

 

 

Les cabinets

 

On les appelle lieux d’aisance, et c’est tout dire,
Car on est malheureux quand on est très pressé.
Tycho n’est-il point mort de ne pouvoir pisser ?
En la matière, il vaut mieux ne rien s’interdire.

 

Parfois, c’est un édicule au fond du jardin,
Que le fier citadin regarde avec dédain.
Parfois, un local exigu sur le palier,
Sommaire placard qui n’est guère hospitalier.

 

Son usage a un je-ne-sais-quoi de sacré,
Mais c’est aussi, c’est vrai, un lieu démocratique :
Notaires, ramoneurs, vieux marquis prostatiques,
De l’utiliser ne peuvent s’exonérer.

 

Le réceptacle ivoire évoque un entonnoir.
Des concrétions calcaires parfois l’agrémentent,
Fort malheureusement, il arrive qu’ils sentent
D’une pénible odeur, c’est là un gros point noir.

 

Vive la chasse d’eau ! Ah ! quel progrès technique.
Tirez ! L’eau s’en échappe en gros bouillons puissants.
Le tumulte des eaux, trombe cataclysmique,
Est suivi d’un bruit de succion réjouissant.

 

Mais mon goût pour ces lieux ne tient qu’à trois fois rien,
Car on peut s’isoler pour y lire à loisir,
Sans être dérangé par le moindre vaurien,
Crétin qui n’entend rien à ce divin plaisir.

 

Ce Tycho dont il est question est Tycho Brahé (1546-1601), le grand astronome danois, prédécesseur de Kepler, mort d’une rétention d’urine, ayant passé la journée dans le carrosse de l’empereur Rodolphe sans avoir jamais osé confesser la nécessité dans laquelle il se trouvait.

 

 

La sainte sourcière

 

La bêtise du peuple est souvent affligeante.
Ainsi, vécut à Lourdes une fille simplette
Que son père François – un meunier peu honnête –
Bernadette nomma. D’une santé navrante,

 

Par l’affreux choléra épargnée de justesse,
Genoux cagneux, fichu crasseux, cette pauvresse
s’en alla vers le gave, un jour de février.
Le ventre vide, elle crut voir près d’un rosier

 

Une fée tout de blanc vêtue, ceinte d’azur,
La chose est bien courante en ces terres austères,
Mais un curé y vit miraculeux augure

 

De revenus coquets. Il fut bientôt complice
De commerçants madrés, d’indélicats vicaires
Abusant des bigots, comme ils font à l’office.

 

 

La complainte des latrines

 

Quand, l’hiver, tout pressé,
D’un petit pas cassé,
Aux infâmes latrines,

 

Le trou du cul glacé,
Le bout du gland gercé,
Je vais m’exonérer,

 

Me vient une pensée :
La vitesse insensée
De mon putride étron

 

Va-t-elle terrasser
Les piétons amassés
Qui passent à l’aplomb ?

 

Et contre l’injustice
Je m’élève et je pisse
– Nauséabonde urine –

 

Car si La Villardière
A un si beau derrière
C’est grâce à ses latrines

 

Qui sont surélevées.
Quand je suis de corvée,
J’en prends plein les narines

 

C’est dans l’armée française
Qu’on pisse bien à l’aise
Quand on est officier.

 

 

Sonnet des testicules

 

De mes ardeurs, vous êtes le doux véhicule.
Pudiques je vous sais, étonnants tubercules,
Vous vous escamotez, par peur du ridicule,
Sous un duvet charmant, frisettes minuscules.

 

Toujours par deux allez car quand l’un gesticule,
Son frère communie avec lui, j’éjacule.
Savonnés avec soin, pas une pellicule
Ne vient là régaler d’odieux animalcules.

 

Mon prépuce vous oint, utile cuticule,
Et mon phallus se pâme, ô ! noble caroncule,
Dans des pertuis divins, profonds diverticules.

 

Je flatte volontiers, quand vient le crépuscule,
De deux expertes mains ces rondes particules
Qui ornent joliment mon mâle tentacule.