Paysages béarnais

L’œuvre poétique d’Eugène Mimonce

Extraits 8 : Paysages béarnais

 

 

Fraternité

 

Quand je marche, parfois, le long du gave en crue,
Roulant sous le ciel noir ses boueuses tempêtes,
Mon esprit enragé se repaît de trompettes
Que dans sa pauvre vie, il n’a jamais connues.

 

Et la berge arrachée par un dément courant
Est pareille à mon cœur, saignant dans ma poitrine
Quand, de mes pauvres vers, les vains lecteurs font mine
De hurler au scandale à mes cris déchirants.

 

Bien plus souvent pourtant, à la fin de l’orage,
Sur mon front apaisé, le plaisir du partage
Accorde à mon esprit, le réconfort si bon

 

De l’admiration de mes pairs enchantés
Qui portent, dans la ville, la belle renommée
De l’artiste blessé, du poète sans nom.

 

 

Le bain de Sancie

 

La comtesse Sancie, là-haut semblant rêver,
Cheveux rasés, pieds et mains entravés,
Revêtue du lin blanc qui sied aux suppliciés,
Prie levant vers l’azur ses grands yeux noirs mouillés :
« Non, je n’ai pas péché ! », pleure sa voix mourante.
Elle supplie son Dieu de la laisser vivante :
« L’enfant était mort-né. Je n’ai pas mérité
Ce châtiment. Ô ! viens Marie me protéger ! »
Ordonnateurs muets, insensibles à sa voix,
Sanche a levé son gant et Monseigneur sa croix.
Dans le gave puissant, innocente et sublime,
Les lances des soldats l’ont poussée vers l’abîme,
Comme une fleur tombée au milieu du courant.
Mais la Vierge retient, dans ses bras l’enlaçant,
Cette enfant qu’elle pose en la berge moussue.
À Sauveterre, et à ses pairs, elle est rendue.
La Justice divine, à Satan, l’a ravie
Et, blanche comme un lys, elle s’en va, transie.

 

Le récit légendaire de Sancie prend sa source dans une histoire authentique. En 1170, elle accouche d’un enfant monstrueux le jour où l’on apprend le décès aux croisades de son mari le vicomte de Béarn. Accusée d’adultère et de sorcellerie, elle est soumise au jugement de Dieu ou « ordalie » : précipitée pieds et poings liés du haut du pont de Sauveterre-de-Béarn, elle en réchappe et fait par la suite l’objet de la vénération populaire.

 

 

Crépuscule hivernal

 

La route s’étirait vers le couchant lointain.
Un liseré de ronce ornait le bas-côté.
Au loin, l’on entendait, vers l’horizon bleuté,
Le sifflet arrogant d’un improbable train.

 

Dans le ciel pur d’hiver, je marchais, péremptoire,
D’un bon pas cadencé, sur le sol verglacé.
Soudain dans la bruyère, un corbeau courroucé
Par ma présence indue hurle son désespoir ;

 

C’est un lugubre cri, qui vous glace le sang.
Je me mets à rêver, plein de désirs puissants :
Dans mon cœur, les yeux noirs de la douce Cécile,
Dans mon ventre repu, un hareng pomme à l’huile.

 

Mon haleine fait naître une épaisse buée,
Pressant le pas encor, mon souffle devient court.
Bientôt, la nuit tombée ; je suis exténué.
L’étoile du Berger apparaît sans détour.

 

Enfin, je vois au loin le hameau sous le givre,
La lune guide un peu mes pas aventureux,
Le froid me pétrifie. J’arrive enfin, heureux.
À la chaleur d’un feu, enfin, mon corps je livre.

 

 

Ivresse

 

Hier soir, sur les coteaux, je suis allé flâner.
L’automne embrasait tout, et les vignes mûries
Me donnaient bien envie d’en goûter tous les fruits,
De taster tous les vins, les secs et les sucrés ;
Et la rude douceur des tardives vendanges.
J’ai eu tant de plaisir en ces dégustations
Que n’ai pu sans fléchir rentrer à la maison :
Deux fûts de ce nectar ai placé en ma grange.
Avec ma solitude, avons cent fois trinqué,
Trinqué toute la nuit jusqu’au lever du jour,
Puis nous avons sombré, nous avons cru mourir.
Après, le glas sonnait, heurtant mon crâne lourd
Qui me soufflait tout bas que c’était un péché
Dont j’avais châtiment d’avoir voulu jouir.

 

 

Collines alanguies

 

En Béarn, alanguies comme femmes couchées,
Les collines d’automne aux charmes mordorés
Font rêver, certains jours, à cet autre Piémont
Là-bas en Italie, en Toscane, les monts
Que peignent derrière les têtes des madones,
Dans une brume douce, exquis baiser des anges,
Les peintres inspirés dont les couleurs résonnent
De symboles divins et d’harmonies étranges.
Oui, parfois, une image émeut plus le poète,
Que sa réalité, posée sur la palette.