Poèmes de jeunesse

L’œuvre poétique d’Eugène Mimonce

Extraits 5 : Poèmes de jeunesse

 

Aigue-marine

 

Souvent je me suis promené le long des côtes,
De la mer Baltique au littoral Cantabrique
Car c’est, contre l’ennui, merveilleux antidote
Que la contemplation du monde océanique.

 

Sur la plage, parfois, une étoile de mer,
Une branche brisée, échoue près du rivage ;
Un bloc d’ambre poli, parmi les coquillages,
Emprisonne un frelon depuis des millénaires.

 

J’aime par-dessus tout, ces petits crustacés
Qui s’en vont à rebours, tels des scipions stressés,
Ou ces crabes inquiets qui marchent de côté
Pour rejoindre, pressés, la vice-amirauté.

 

Quant à l’huître perlière, immobile et prostrée,
Elle tourne et retourne en son intimité
Comme une chique de pétun, en vérité,
Une sphère calcaire au doux éclat nacré.

 

J’aime aussi contempler, sous les eaux scintillantes
L’épine d’un oursin aux reflets bleu céleste.
À la roche, il s’accroche, statique, et, du reste,
La torpeur il préfère aux ardeurs véhémentes.

 

Ainsi donc, à l’abri de l’horrible tumulte
D’une vie agitée de vains embrasements,
Imprégnée d’air marin, mon âme en paix exulte,
Extatique, et se pâme à ce doux bercement.

 

 

Embruns iodés

 

C’est un vert littoral, une côte rocheuse
À l’odeur de varech, d’iode et de bois flotté.
Fouettée par les embruns. Je chéris la beauté
De ces contours marins aux criques poissonneuses.

 

Dans des recoins secrets, le ressac régulier
Vient frapper le rocher comme un coup de bélier.
Sur le granit visqueux, des patelles tenaces
Dans les flots acharnés luttent sous leur cuirasse.

 

Sous le ciel pommelé, des oiseaux agacés
Nous crient leur désespoir, leurs tourments angoissés
Qui réveillent en nous des chagrins, des soupirs.

 

Un crabe sur la plage erre en piéton pressé.
Les récifs acérés, de marins trépassés
À leurs veuves en pleurs gardent le souvenir.

 

Rencontre

 

Un soir d’hiver, au crépuscule, et dans la rue
Un homme affreux, marchant vers moi, m’est apparu,
Énorme tête nue sur un corps squelettique,
Des yeux noyés de ride, à l’éclat méphitique.

 

Ces yeux me dévisagent, avec un rire horrible.
Cette grimace certes, eût pu être risible
S’il n’eût pas émané, de cet être sordide,
Une méchanceté qui paraissait morbide.

 

Quelle vision j’ai eue, quelle peur répugnante,
D’une vieillesse triste et combien violente.
Plus tard, ô ! cieux, plus tard, jamais peut-être,

 

Le Destin ne fera un tel spectre de moi,
Vieillissant pour mourir dans la haine de soi,
Car par la poésie, le cœur ne fait que naître.

 

Morne printemps

 

Avril s’en vient, s’en va. Les saules bleus répandent
Leur semence à tous vents. Partout nature exulte,
Hannetons, scarabées, papillons vert amande.
Coucous et rossignols font naître un doux tumulte,

 

Pour ma part, j’erre seul et recherche en moi-même
Un motif de me joindre à l’unanime accord.
Au bord d’un frais ruisseau, je vois ma face blême
Se refléter dans l’eau profonde, je hais ce corps.

 

Bientôt tu voleras, ridicule oisillon,
Bientôt morne chenille deviendra papillon
Injustice sans nom : tel je suis, quelle plaie !
L’hiver me convient mieux, ces étendues gelées
Où tout paraît figé, où rien n’est beau, ni laid…
De moi, et de moi seul, je m’accommode alors.

 

L’épervier

 

Quand tu voles, épervier, au-dessus de nos têtes,
Que ton glapissement retentit sur la lande,
Mon âme misérable au diapason se met.
Tu scrutes l’horizon à l’affût d’une proie,
Te souciant d’apporter à ta progéniture
Un aspic, un mulot qu’il te faut déglutir.
Tu repars aussitôt, épuisé, car au nid
Ton oisillon dodu n’est jamais rassasié.
Tu rencontres souvent des corbeaux querelleurs
Mais savent-ils au juste en quoi tu leur as nui ?

 

Le poète – sais-tu ? – connaît le même sort :
De beaux vers, son public n’en a jamais assez
À peine on les lui sert qu’il en veut un peu plus,
Égoïste, ignorant des souffrances cachées.
Ces stupides corbeaux sont les odieux critiques
Qui ne sauraient dire le mal qu’il leur a fait
Ses vers n’y sont pour rien, ils ne les lisent guère,
Pleins de leur suffisance, ils vont cracher sur tout.
Épervier – le vois-tu ? –, tu es un peu mon frère.
Qui ne t’a pas, un jour, entendu tirailler
Ne connaîtra jamais cette exquise amertume.

 

Vole donc au-dessus de la plaine et glapis.
Ce cri, je le connais, car c’est aussi le mien.

 

Mahler

 

C’est un fort isolé, face au château de Joux
Défendant la frontière, imprenables bijoux.
Ces deux sentinelles empêchent le passage
De bataillons guerriers aux hostiles visages.

 

Tout seuls quelques soldats luttent contre le froid,
L’ennui, l’isolement, et veillent sur leurs frères,
Car telle est la mission de la vie militaire :
Éviter au civil, de la guerre, l’effroi.

 

Un beau jour de juillet, la guerre est déclarée,
« Combattons les Prussiens, et bientôt la victoire
Car ce sont de vils chiens qui n’auront pas la gloire. »
La troupe suit ces chefs, ces esprits égarés.

 

Les défaites cuisantes dès lors se succèdent,
L’Empereur déposé, l’Armée mise en déroute,
L’hiver est arrivé, et l’ennemi la boute
Vers la Suisse gelée ; nombreux de froid décèdent.

 

L’armée suit son destin qui passe par la cluse
Que protègent Mahler et Joux tels une écluse.
À bout elle parvient à semer les Uhlans.
La porte se clôt alors sur les poursuivants.

 

La guerre était finie, ils l’ignoraient aussi !
Les ultimes combats sont un affreux carnage.
Qu’il y a t-il de glorieux à mitrailler ainsi
Ces frères qui n’avaient plus que la vie en gage ?

 

La patte-mouille

 

Plongé dans un bain de vapeur,
J’aime l’odorante moiteur
Des fers à repasser.

 

De lourds draps de coton brodés
Sèchent au-dessus de ma tête,
Ils sont raccommodés.

 

Pris dans l’agréable torpeur,
J’aime la demoiselle agile,
La regarde, rêveur.

 

Habile, elle a le savoir-faire
Et met à réchauffer son fer
Sur le poêle allumé.

 

Son corps gracile pivotant,
Elle dépend une chemise,
Sur sa planche l’étend.

 

Soudain, la lingère appliquée
Se saisit d’un torchon mouillé ;
Elle est à son affaire.

 

Sous le fer, la vapeur crépite,
Puis il lui faut manœuvrer vite
Pour ne jamais marquer.

 

Bientôt, son chignon se défait
Sous le très sensuel effet
D’un subtil va-et-vient.

 

Précis, le geste est virtuose,
Déjà, la chemise repose,
Dans un panier d’osier.

 

Quand un baiser je lui propose,
Elle dit que je l’indispose,
Me priant d’aller ailleurs.