Poèmes orientalistes

L’œuvre poétique d’Eugène Mimonce

Extraits 4 : Poèmes orientalistes

 

 

Les hommes du désert

 

Bouraïdah, Hulayfa, royaume de Saba,
De l’Arabie heureuse antiques mastabas,
Oui, j’ai longtemps rêvé à ces lieux de mystère.
Je voudrais aujourd’hui retourner sur ces terres.

 

Car j’y fus. Je marchais du pas lent de ces hommes
Qui savent bien qu’ainsi on abat des montagnes,
Guidés par les étoiles, en savants astronomes,
Ils arrivaient au but ; moi, je vous en témoigne.

 

De leurs chameaux, je mimais la sobriété
Découvrant de ces lieux, paradoxe curieux,
Que rien n’a plus de sens que cette vacuité,
Nul n’est plus fortuné que ces gens miséreux.

 

Le vent chaud sourdait du désert,
Oh ! Pétra, ta couleur de sang,
D’un sang rubis comme la mer,
M’a laissé muet, impuissant,

 

Oui, subjugué, assurément,
Par ces immenses bâtisseurs,
Artistes qu’un rêve dément
Aiguillonnait dans la ferveur.

 

 

Orientales

 

Dans les pays lointains, j’ai beaucoup voyagé,
Sur des bateaux marchands où le vent me poussait.
Aux escales j’ai vu des femmes orientales
Qui sont un vrai mystère à l’âme occidentale.

 

Voilées ou nues, toujours, elles nous sont étranges
Parce qu’en ces pays, il n’est pas de mélange
Et lorsqu’on déambule, à Stanboul ou Alger,
Tout seuls, dans le soleil, parcourant les quartiers,

 

Marchent les mâles. Quelques formes silencieuses,
Sans tête et sans visage, y effleurent les murs
À l’abri des regards et des désirs impurs.
Quand vient l’heure brûlante où les muslims reposent,

 

À l’ombre des persiennes, dans les patios frais,
L’étranger qui parcourt la cité surchauffée,
Sent peser sur sa nuque, infiniment curieux,
Les yeux noirs, les yeux pers, concentrés et sérieux,

 

Leurs œillades pensives rêvant de départ.
Sur leur vertu sacrée, de gras eunuques veillent
Impassibles devant leur plus simple appareil.
Éternel doux rêveur, étourdi par le nard,

 

Doux appât des houris, à perdre la raison,
Le marin de passage, éternel chevalier
Se rêve délivrant les belles en prison
Pour les mener bientôt en pays familier.

 

Mais pour se consoler des femmes interdites,
On peut, en ces contrées, sous le ciel étoilé,
Ou dans les fraîches cours de somptueux palais,
Mirer, moites et nues, langoureuses maudites,

 

Celles qui font trembler leurs hanches, leur nombril,
Au son des tambourins qui rendent si fébriles
De vraies troupes de loups, par leurs corps exaltés.
Capables – ils le sont – des pires cruautés,

 

Ils s’agitent, déments, comme en macabres danses,
Fresques peintes aux murs des églises de France.
Excités par ces corps aux rondeurs confortables,
Ils sont pris de désirs impérieux et coupables.

 

Ô ! femmes, vous restez, même cloitrées, absentes
Au fond de vos harems, soigneusement encloses,
Dans une solitude où le vide vous hante,
Où de vous voir aucun homme ne peut ni ose,

 

Fontaines de secrets inondant de désirs
Les poètes errants affamés de plaisir.
Vos voiles ondoyants exaspèrent leurs sens
Comme un puissant opium, jusqu’à résipiscence.

 

 

Chypre

 

Enfants de Kerynia,
Nobles fils des archontes,
Vous rendez-vous bien compte
Qu’en ce monde il n’y a
Point de plus splendide île
Que celle où Aphrodite,
Sur le rivage – mythe ? –,
Posa son pied gracile.

 

 

Le retour

 

Oui, j’ai tant voyagé
Et mon âme alanguie,
Sur ton sein arrondi,
Ce soir a pu poser
La lassitude immense
De ma désespérance.

 

Je peux, tendre merveille,
Te conter les rivages
Éclatés de soleil
De ces pays sauvages
Des océans, des îles,
Les lourdeurs de l’exil.

 

Mais revenu enfin
Au pays orthézien,
J’ai revu mon enfance
Sous les cieux de France.
Oui, je suis bien d’ici,
Ici où j’ai grandi.

 

Car seules mes montagnes
Et ma douce campagne
Savent dire si bien
À l’enfant que je fus
Que je leur appartiens,
Que je l’ai toujours su.

 

La tonalité de ces vingt-quatre vers et la nostalgie du pays natal ne sont pas sans évoquer Heureux qui comme Ulysse de Du Bellay, avec une touche d’érotisme à la Gauguin.

 

 

Alexandrie, Alessandra

 

Douce mélancolie
D’un éclat de lumière
D’un port grouillant de monde,
D’alphabets inconnus,
De gens simples et vrais,
De thés désaltérants
À l’ombre des palmiers,
De gamins enjoués,
De vergers verdoyants,
De longs doigts tatoués,
De vieillards édentés,
De marchés odorants,
D’épices inconnues
Et de douceurs sucrées.

 

Ô ! souvenir lointain
D’un sourire échangé,
D’une paire d’yeux verts,
De courses dans les prés,
De soucis oubliés,
De siestes dans les foins,
Le ciel bleu pour témoin,
De sentiments gracieux,
Pleins de délicatesse,
De cheveux dénoués,
De couronnes de fleurs,
D’une odeur de jasmin,
Et la fleur de ta peau
Sous la pulpe des doigts.

 

 

Corne d’Or

 

D’une terrasse, la Corne d’Or
Sous le ciel gris d’un doux hiver,
Il pleut sur le Bosphore.

 

J’entends l’appel à la prière
D’un muezzin, de ma litière…
Constantinopolis.

 

Au loin, des mères hystériques
Jettent leurs enfants cholériques
Dans de petits cercueils.

 

Dans un café, au bord du quai,
De doux vieillards jouent au jacquet,
Fumant leur narghileh.

 

Les parfums d’eau de rose,
De benjoin, d’encens et d’opium
Me laissent las, morose.

 

Dans la vapeur d’un vieux hammam
Des corps épais, fantomatiques.
Qu’ai-je fait de mon âme ?