Jeanne d’Albret, Fragments de vie d’une brebis opiniâtre

8,00

Laurent Frontère
Editions Bretzel
32 pages
30 x 20 cm
8 euros
ISBN 978-2-9551648-3-9

UGS : 978-2-9551648-3-9 Catégories : , , ,

Description

Une petite biographie sommaire,
et parfois contestable

  Savez-vous que Jeanne d’Albret (1528-1572), reine de Navarre notoirement connue pour être la mère d’Henri IV et accessoirement la nièce de François Ier, adorait jouer à la belote ? Qu’elle avait installé un système d’interphone dans le château de Pau, dispositif constitué de deux pots de yaourt reliés par une ficelle ? Qu’elle avait ouvert une fumerie d’opium oecuménique ? Qu’Henri IV avait eu un frère jumeau, Ludovic, sommé d’aller explorer l’Abyssinie ? Non ?

  C’est normal, car ces faits-là ne sont que mensonges grossiers. En revanche, vous trouverez dans cette biographie épatante et un peu décalée des informations honnêtes sur ce que nous savons de la vie de ce personnage marquant de la France du XVIe siècle, celui des guerres dites de religion.

  Dans une pagination réduite – 16 pages de texte et 16 pages d’illustrations décalées -, la vie de Jeanne est replacée dans ce contexte sanglant.

Petite digression historique…
(trop courte pour être indiscutable)

  Le XVIe siècle est l’époque où le mouvement protestant prend racine, en Angleterre avec Henry VIII, en Allemagne avec Luther, en France et en Suisse avec Calvin. Né d’une volonté de réforme interne visant à la condamnation des excès d’un clergé vénal et dépravé, et d’une haute hiérarchie pratiquant le trafic des indulgences, ce mouvement prône le retour aux sources – les Evangiles et l’Ancien Testament, et rien de plus – et le sacerdoce universel, terme obscur pour le néophyte signifiant que tout un chacun peut se prévaloir d’un lien direct avec Dieu sans l’intermédiaire d’un clergé. Avec Calvin, cette volonté de réforme devient bientôt clairement schismatique, s’opposant frontalement à l’autorité du pape et déclenchant une franche hostilité. Les idées de la Réforme trouvent bientôt un écho favorable dans toutes les strates de la population, y compris parmi les têtes couronnées qui entendent être maîtres chez elles. Les guerres dites de Religion apparaissent alors pour ce qu’elles sont : autant que des guerres d’idées, des luttes pour le pouvoir, du pape contre les monarques rebelles, des Guises contre les Bourbons leurs cousins.

Et Jeanne, dans tout ça ?…

  Jeanne d’Albret est l’héritière, par son père, du royaume de Navarre et de nombreuses autres possessions en royaume de France – point de loi salique en Navarre : Albret, comtés de Foix, d’Armagnac, de Bigorre, de Rodez, vicomté de Limoges, Périgord, Marsan, Lomagne, Nébouzan, mais aussi le Béarn, considéré comme Etat indépendant. Le royaume de Navarre a, pour l’essentiel – le versant ibérique -, été annexé par le roi d’Espagne seize ans avant la naissance de Jeanne, et les rois de Navarre successifs, souverains en exil, chercheront par tous les moyens à récupérer l’essentiel de leur territoire ; la minuscule Basse-Navarre, située sur le versant français, reste en effet la seule partie de l’ancien royaume transfrontalier encore en leur possession.

  Par sa mère, Jeanne d’Albret est nièce de François Ier, souverain encombrant qui la mariera de force – elle n’a que 12 ans – à Guillaume de Clèves, trentenaire héritier d’un lointain duché rhénan. La diplomatie européenne est alors dominée par la puissante Espagne, avec l’immense empire des Habsbourg et ses possessions américaines, et la France ; l’Angleterre, puissance montante, s’efforçant de jouer les outsiders.

  Bientôt convaincue par les idées de la Réforme, Jeanne d’Albret entend faire valoir ses droits de souveraine et fait progressivement du calvinisme – à partir de 1560 – la religion d’Etat en Béarn, lequel constitue un laboratoire du protestantisme en Europe. Elle se heurtera aux Valois, en particulier à Charles IX, fils de son cousin Henri II, et à la veuve de ce dernier, Catherine de Médicis (1519-1589), femme de pouvoir et fine politique. Pourtant, tout n’oppose pas ces deux femmes habiles et plutôt pacifistes. Le rapport de force est inégal entre la douairière de France et la souveraine de la minuscule Navarre, et Catherine sera sans doute plus conciliante mais aussi plus retorse que Jeanne, plus intransigeante et plus attachée à ses convictions religieuses.

  La branche des Valois s’éteignant faute d’héritier direct, par un pied de nez de l’Histoire, c’est le fils de Jeanne qui montera sur le trône. Henri III de Navarre, devenu Henri IV, apparaît comme la synthèse d’une Jeanne d’Albret fidèle à ses convictions et soucieuse du bien-être de son peuple, d’un Antoine de Bourbon, son pêre, chef de guerre volage non dénué de panache mais plus ambitieux que modèle de droiture, et d’une Catherine de Médicis habile politique et recherchant la conciliation – le jeune Henri a passé plus de temps à la cour de France, où a été faite son éducation, qu’en Béarn et Navarre !

  Jeanne d’Albret subit donc une situation qu’elle ne peut maîtriser. Mais à sa manière, elle saura résister et rester fidèle à ses convictions. Si elle fait du protestantisme la religion d’Etat en Béarn, elle le fera avec une certaine mesure, ne sévissant qu’en dernier recours face aux quelques seigneurs béarnais récalcitrants, n’allumant jamais de bûcher pour arriver à ses fins : ” Je ne fais rien par force ; il n’y a mort, emprisonnement ni condamnation qui sont les nerfs de la force ” affirme-t-elle à l’encontre des fanatiques des deux camps, allant même jusqu’à prôner la liberté de conscience – cela, plus par réalisme politique que par conviction.

– Illustrations –

  Les 32 pages de l’ouvrage alternent 16 pages de texte avec 16 illustrations pleine page, véritables tableaux mettant en scène les différents protagonistes dans des décors d’époque. Le tout est assorti de philactères au ton joyeusement décalé. En fait de “véritables tableaux”, il s’agit de collages associant d’authentiques peintures de l’époque d’auteurs innombrables, célèbres ou méconnus : François Clouet, Tintoret, Dürer, Bruegel, Titien, Véronèse, etc. mais aussi François Dubois, Pierre Dupuy, Sofonisba Anguissola, Van Bassen…

  Ces compositions, aussi décalées soient-elles, s’attachent néanmoins à rendre compte d’une réalité historique attestée, même sous un mode parodique ou burlesque. Il est vrai que la cruauté barbare de cette époque serait difficilement soutenable sans l’évasion que permet le rire !

  Le lecteur trouvera sans doute, avec tristesse et amertume, quelque parenté de cette époque avec la nôtre : mêmes temps de tensions religieuses paroxystiques sous-tendus par des luttes de pouvoir acharnées.

Voici donc quelques exemples :

 

Page 03 Jeanne d’Albret

 

  Ci-dessus, Jeanne d’Albret vient de naître, entourée de François Ier et de ses parents, Marguerite de Navarre et Henri d’Albret. La demoiselle qui tient un livre est anonyme – d’après une oeuvre de l’excellente Sofonisba Anguissola.

 

Page 27 Jeanne d’Albret

 

  Ci-dessus, Jeanne d’Albret et Catherine de Médicis se regardent en chiens de faïence. Du côté de Jeanne, on reconnaît Clément Marot, Condé, le futur Henri IV, Coligny. A droite de Catherine : Monluc – ennemi juré de Jeanne -, Henri de Guise, Charles IX, François de Lorraine.

Ces gens-là se traitent des noms d’oiseaux d’usage. Quant à Catherine, il s’agit d’un bec fin qui avait fait venir à la cour des cuisiniers italiens, spécialistes de la pâte à choux. Les profiteroles et le canard à l’orange font partie des spécialités que l’on vit effectivement sur la table de cette gourmande replète, fort éloignée de l’austérité de Jeanne.

 

Page 25 Jeanne d’Albret

 

  Ci-dessus, le coup d’arquebuse qui fut fatal à Antoine de Bourbon, mari de Jeanne, lequel était en train de pisser. Sa déclaration – “ça m’apprendra à montrer mon cul aux huguenots !” – serait historique ; encore n’y a-t-il plus de témoin vivant de cette scène pour nous le certifier. Nous sommes ici le 15 octobre 1562, pendant le siège de Rouen. Derrière l’arbre, la belle Rouhet, une courtisane dépéchée auprès d’Antoine par Catherine de Médicis afin de le circonvenir par des moyens peu honnêtes. Elle sera la maîtresse dudit Antoine, ainsi que d’Henri IV son fils, en 1575. Elle avait alors 65 ans et Henri, 22. Belle vitalité !

 

4ème de couv Jeanne d’Albret

 

Enfin, licence artistique et scène très improbable, voici Jeanne d’Albret jouant à la belote avec deux joyeux drilles, Jean Calvin et Théodore de Bèze. A gauche du chien, on reconnaîtra le jeune Henri de Navarre. En fait, après une enfance plutôt joyeuse à la cour de France, Jeanne devient beaucoup plus austère à la fin de sa vie, interdisant la prostitution, mais aussi la danse, les carnavals et les jeux de hasard sur ses terres béarnaises. Mais il n’est pas certain que l’on ait appliqué ces édits mortifères avec toute la rigueur voulue ! Elle n’était sans doute pas très rigolote, mais l’époque n’incitait pas non plus à la franche gaieté. Par la suite, le XIXe siècle a tressé autour d’elle une légende noire, stigmatisant son intransigeance, lui attribuant indûment des crimes qu’elle n’a pas commis.

– Incipit –
( où l’on comprend mieux le sous-titre de ce livre )

 

L’ HISTOIRE DE FRANCE a longtemps été écrite par des hommes peu enclins à admettre la place des femmes de pouvoir, les transformant en intrigantes ou en hystériques. Le XIXe siècle a affectionné les légendes de femmes mues par des pulsions démoniaques. Hormis quelques saintes, Blandine ou Jeanne d’Arc par exemple, sitôt transformées en victimes courageuses mais impuissantes, et quelques sympathies pour les mères méritantes de grands hommes – Blanche de Castille –, combien d’héroïnes mesurées et bienfaitrices ? L’Histoire du XVIe siècle ne déroge pas à la règle : Diane de Poitiers ? Une vulgaire croqueuse de diamants qui a voulu s’accaparer Chenonceau ! Catherine de Médicis ? Elle aurait soufflé à Charles IX le projet de la Saint-Barthélemy ! La reine Margot ? Elle aurait fait embaumer la tête de son amant décapité ! Nous avons l’Histoire de France que nous méritons : nous nous devons de la débarrasser de tous ces poncifs ! Et Jeanne d’Albret, dans tout ça ? Elle a, certes, le mérite d’avoir donné le jour au bon roi Henri. Mais pour le reste, avec quelle intransigeance elle aurait pris la tête du parti huguenot alors qu’entre nous, une seule religion pour tout le monde, c’est tellement plus sympa !
Prenons à présent les choses dans l’ordre : Jeanne d’Albret naît le 16 novembre 1528, à Saint-Germain-en-Laye. Elle est la fille d’Henri d’Albret, roi de Navarre et de Marguerite d’Angoulême, sœur très proche de François Ier.
Henri d’Albret a alors vingt-six ans. Il est à la tête d’un large territoire disséminé comprenant, outre deux États souverains que sont le Béarn et la Basse-Navarre, une bonne part du quart sud-ouest de la France actuelle : l’Albret, les comtés de Foix, d’Armagnac, de Bigorre, de Rodez, la vicomté de Limoges, le Périgord, le Marsan, la Lomagne, le Nébouzan… Les armes du Béarn représentant deux vaches, quelques esprits moqueurs, du côté espagnol, salueront la naissance de Jeanne, en l’occurrence une fille, en s’exclamant : « Miracle, la vache a accouché d’une brebis ». On verra par la suite que la future reine de Navarre n’a décidément rien d’un placide et doux animal !