Carya Magalonensis

12,00

Laurent Frontère
Editions Bretzel
148 pages
14 x 20,5 cm
12 euros
ISBN 978-2-9530405-8-6

UGS : 978-2-9530405-8-6 Catégories : , ,

Description

– Le Noyer de Maguelonne –
Faux manuscrit du XIVe et vrai canular du XIXe

 

  « L’ ANN MCCC, un mercredi de septembre, à l’ombre d’un arbre, près de la tour du château de Monseigneur de Maguelone, il fut porté un poisson extrêmement grand et gros, qui pesait environ sept quintaux ; il présentait une tête sans cou, un museau de veau et des mâchoires garnies de dents en bas et en haut. Ce poisson avait été pris avec un filet dans la mer, à trois lieues environ du port de Frontignan… »

Alfred Moquin-Tandon
Alfred Moquin-Tandon

  Christian Horace Bénédict Alfred Moquin-Tandon (1804-1863) fut docteur ès sciences, puis docteur en médecine avant de se consacrer à la botanique. Professeur de zoologie à Marseille, puis professeur d’histoire naturelle à la Faculté des sciences de Toulouse, il finit par occuper la chaire d’histoire naturelle médicale à la faculté de médecine de Paris. Il est alors membre de l’Institut et dirige le Jardin des plantes.

  Rien ne prédisposait ce savant rigoureux à faire paraître, en 1836, un canular littéraire. Son faux manuscrit du XIVe, chronique de la cathédrale de Maguelone, trompa les meilleurs spécialistes de la langue romane.

  Cette réédition inclut une postface de Laurent Frontère éclairant le lecteur sur le faussaire et son œuvre.

La biographie qui suit est, pour une large part, empruntée à Wikipedia.

Alfred Moquin-Tandon
Alfred Moquin-Tandon

  Christian Horace Bénédict Alfred Moquin-Tandon, né à Montpellier le 7 mai 1804 et mort à Paris le 15 avril 1863, est un botaniste, médecin et écrivain français.

  Il commence à travailler comme simple copiste et caissier dans la maison de commerce de ses parents, Moquin-Tandon et Cie. Après des études de lettres, il étudie notamment auprès des botanistes Auguste de Saint-Hilaire (1779-1853) et Michel Félix Dunal (1789-1856) et obtient son titre de docteur ès sciences le 9 décembre 1826, puis de docteur en médecine le 18 août 1828. Il est professeur de zoologie à l’Athénée de Marseille de 1829 à 1830, puis professeur d’histoire naturelle à la faculté des sciences de Toulouse de 1833 à 1838, puis professeur de botanique dans cette même faculté de 1838 à 1852 (il était directeur du Jardin botanique depuis 1834).

  En septembre 1834, il fait un voyage de quelques semaines à Paris. Outre les deux personnalités qu’il était venu consulter, le chimiste Louis Jacques Thénard et le ministre François Guizot, il rencontre un grand nombre de scientifiques : Geoffroy Saint-Hilaire, Serres, Flourens, Augustin Pyrame de Candolle, Ampère, Cousin, Adolphe Brongniart. Il tire un récit de ce court séjour où ses remarques ne sont pas toutes élogieuses : « J’ai remarqué que beaucoup de ces messieurs étaient fort au-dessous de leur réputation. L’usurpation du génie est assez commune à Paris. ».

  Il est élu mainteneur de l’Académie des Jeux floraux en 1844. Il fait un voyage en Corse en 1850, où il rencontre Jean-Henri Fabre. Outre ses travaux en botanique, on lui doit des recherches sur les mollusques et les hirudinées (sangsues).

  Moquin-Tandon utilise plusieurs pseudonymes, notamment pour réaliser des supercheries littéraires parmi lesquelles Carya magalonensis. En fait, il faut bien avouer que nous n’avons identifié que ce seul canular, l’auteur ayant par ailleurs écrit sous le pseudonyme d’Alfred Frédol des œuvres notables comme Le Monde de la mer, ouvrage sérieux paru à titre posthume en 1865.
Augustin Pyrame de Candolle a fait de lui ce portrait :
« C’est un homme actif, laborieux et qui a le travail facile. Il venait étudier les Chénopodées et familles voisines et a depuis publié sur cette famille une excellente monographie. Il a toute la vivacité languedocienne et nous amusa beaucoup en nous lisant un petit ouvrage de sa composition dans la langue des troubadours supposé trouvé à Maguelonne et assez bien fait dans le genre pour avoir pu tromper M. Rainouard. »

  Les dix dernières années de sa vie voient reconnaître ses mérites. En 1853, il abandonne ses fonctions toulousaines pour aller occuper la chaire d’histoire naturelle médicale à la faculté de médecine de Paris. En 1854, après de multiples tentatives, il est enfin élu à l’Académie des sciences, au fauteuil d’Auguste de Saint-Hilaire, son ami et soutien indéfectible. Membre fondateur de la Société botanique de France qu’il préside en 1857, il est aussi directeur du Jardin des plantes.

C’est à Paris qu’il meurt brutalement en avril 1863.

Publications principales :
– Mémoires sur l´oologie, ou sur les œufs des animaux (Paris, 1824) ;
– Essai sur les dédoublements ou multiplications d´organes dans les végétaux (1826) ;
– Monographie de la famille des Hirudinées (1827) ;
– Histoire naturelle des îles Canaries, avec Philip Barker Webb et Sabin Berthelot, (1836-1844) ;
– Chenopodearum monographica enumeratio (1840) ;
– Las Flors del gay saber, ouvrage collectif dont il dirige la publication. (1841) ;
– Éléments de tératologie végétale, ou Histoire abrégée des anomalies de l´organisation dans les végétaux (1841). L´ouvrage est traduit en allemand ;
– Histoire naturelle des mollusques terrestres et fluviatiles de France (trois volumes, 1855) ;
– Éléments de zoologie médicale, contenant la description des animaux utiles à la médecine et des espèces nuisibles à l´homme, venimeuses ou parasites (1860) ;
– Éléments de botanique médicale, contenant la description des végétaux utiles à la médecine et des espèces nuisibles à l´homme (1861, réédité en 1866) ;
– Le Monde de la mer, sous le pseudonyme Alfred Frédol (1863, réédité en 1865, 1866 et 1881) ;
– Un naturaliste à Paris, réédité en 1999 par Sciences en situation.

  L’extrait suivant est la première chronique du Carya Magalonensis, l’histoire d’un mystérieux animal marin pris dans les filets de pêcheurs à quelques lieues de là…

  On trouvera tour à tour la traduction française de ce texte, puis le texte dans sa version originale, censé être la langue romane parlée dans la région de Montpellier au XIVe siècle.

OMBRE

  Un mercredi de septembre de l’an 1300, à l’ombre d’un arbre, près de la tour du château de Monseigneur de Maguelone, il fut porté un poisson extrêmement grand et gros, qui pesait environ sept quintaux ; il présentait une tête sans cou, un museau de veau et des mâchoires garnies de dents en bas et en haut. Ce poisson avait été pris avec un filet dans la mer, à trois lieues environ du port de Frontignan.

  Ledit poisson offrait environ trois cannes de longueur ; il avait les yeux très gracieusement arrondis. Sa couleur était, sur le dos, d’un gris obscur mêlé de brun, sur le ventre d’un blanc pur, et sur les côtés d’un gris clair. Il y avait, près de la tête dudit poisson, deux bras avec deux mains et à chaque main cinq doigts, le tout formé comme les mains et les doigts d’une personne. Son museau était aplati comme celui d’un bœuf, et ses doigts étaient palmés comme ceux d’une oie.

  Ce poisson fut posé sous l’arbre susdit, près de la tour et près de l’étang. Le lendemain, ce poisson n’était pas mort comme un poisson ordinaire ; mais le soir, après le couvre-feu, et le ciel étant obscur, ledit poisson fut entendu par le sacristain de Maguelone et par le prévôt de Maguelone, de la chambre où ils couchaient, et aussi par un vieux chanoine, parlant à haute voix, disant avec larmes que notre Seigneur Dieu et son cher Fils étaient en colère contre les mauvais habitants de Montpellier et les mauvaises gens de Maguelone, de toute la contrée et de tout le royaume, parce qu’ils étaient obstinés dans leur malice et n’avaient pas grande crainte de Dieu, ni grand amour pour lui, et qu’ils ne le priaient pas. Ensuite, ledit poisson chanta un Miserere nobis, dans lequel il disait Miserere illis.

  Après cela, il agitait sa grosse queue arrondie et velue ; et il murmurait beaucoup de paroles sur le fait de l’antéchrist et du démon, de leurs serviteurs et de leurs amis. De loin, on entendait ses cris de colère, et ses soupirs très douloureux. Et ensuite, il agitait sa queue grosse et arrondie et velue.

  Puis il se levait, se couchait, se relevait aussi haut qu’il pouvait faire. — Finalement, le poisson s’écria : Qu’ils meurent ! Qu’ils meurent, ces pêcheurs !…
Aussitôt, on entendit un violent éclat de tonnerre, accompagné de grands éclairs et il fit un temps affreux de vent et de pluie pendant toute la nuit et les deux nuits suivantes, si mauvais que la mer devint épouvantable, que les eaux de pluie détrempèrent tout le territoire de Maguelone, et que les eaux de l’étang pénétrèrent dans ledit territoire. — Et il y eut beaucoup de mal et de dommages.

  Et le lendemain, qui était un dimanche, l’arbre était détruit, et le poisson avait disparu.

Morse Dürer

UMBRA.

  En lan MCCC, a hun dimecres de septembre, en la umbra de un albre, costa la torre des castel de Mossenhor de Magalona, fonc portat un Peys teriblament estendut e gros que pesava entorn VII quintals ; e avia testa ses col, e lo morre de Vedel, e en mayssas dens dessotz et dessu. Loqual Peys era estat pres am hun boliech, en la mar, a III legas entorn del port de Frontinia.

  Et avia lo dich Peys de lonc entorn II canas ; e era gros coma Azer et pelos coma hun Muol : e los iols mot graciosament aronditz ; color desus lesquina de gris escur e brun, e al ventre de blanc pur, et de gris clar los costatz. E y ac, pres del cap del dich Peys, dos bras am dos mas, e cascuna mas sinq detz formats coma mas e detz de persona. Lo nas fonc aplatit coma nas de Buou, e los detz se tenian am pel coma Dauqa.

 

  Et aquel Peys fonc mes dessotz lo albre sobredich costa la torre et costa lestan. Lendema, aquel Peys non era mort coma los autres peysses ; mays, lo vespre a lums atuzatz, que lo cel era escur, fonc entendut per lo Segresta Magalonal et lo Prebost, de la cambra ont jazien, e eussamen per hun vuelh Canonje, lo dich Peys parlan en auta votz, dizen am lacrymas, que Nostre Senhor Dyeus e son car Filh eron en ira encontra los malvazes habitadors de Montpeylier, e las malvazas gens de Magalona, e de tot lo terrador, e de tot lo realme, per so car eron obstinatz en lur malicia, e non avian gran paor de Dyeus, ny gran amor per El, ny non preguavon el.

  E pueys, cantet lo dich Peys, un Miserere nobis, que dizie Miserere illis.
Et en apres, agitava sa coa grossa, e redonda, e pelosa ; e murmurava motas paraulas sus lo fag de Antecrist e de Demoni e de servidors ho amixs de Antecrist et de Demoni. E de lonc sentendian sas paraulas de ira e sas lacrymas grandamen dolentas. E en apres, agitava sa coa grossa, e redonda, e pelosa.
Pueys, se levava, se jazie, se levava en tant que podie ho far. — Finablamen, cridet lo Peys : Mueyron, mueyron, aquetz pecadors !…

  Subtamen, fonc fach hun gran thro, acompanhat de grans esclausses ; e fes gros temporal daura e de plueia tota nueg, e la nueg enseguen, e lautre nueg, si que la mar fonc mot espauentabla, e que aygas de pueia destremperon tot lo terrador de Magalona ; e aygas destan sen intreron en lo dich terrador. E y ac motz de mals e de dampnatges.

  E lendema, que fonc un dimergue, lo albre era destruzit e lo Peys sen era partic.